La prise de Sébastopol (8/9/1855)

Les combats pour la courtine.


Prise de la courtine de Malakoff le 8/9/1855
Adophe Yvon
La brigade ds grenadiers de la Garde monte à l'assaut
Au premier plan, le général Bosquet est blessé
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   Le général Bosquet, entouré de son état-major, est appuyé sur le parapet de la tranchée, suivant du regard le combat avec une anxiété croissante; une bombe éclate à quelques mètres en avant du parapet, et un gros éclat, passant en tournoyant à quelques lignes du visage du chef d'état-major du 2e corps, enlève la contre-épaulette du commandant Balland, premier aide de camp du général Bosquet, et frappe le général lui-même dans le flanc droit, un peu au-dessous de l'épaule.

Le général, étourdi par la violence du coup, s'affaissa, mais sans perdre entièrement connaissance; il faisait les plus grands efforts pour reprendre sa respiration, et ses premières paroles furent pour prescrire le plus profond silence à tous ceux qui l'entouraient; puis, sentant que ses forces l'abandonnaient, il donna ordre au général de Cissey de faire prévenir le général en chef, ainsi que le général Dulac, auquel revenait de droit le commandement par son ancienneté.

Longtemps les officiers de l'état-major du général luttèrent pour l'emmener du lieu du combat. Appuyé contre les gradins de franchissement, il voulait rester encore et être là pour diriger l'action; mais on voyait à la pâleur de son visage et à sa voix entrecoupée, que le coup qui l'avait frappé, avait dû causer un profond ébranlement. On le transporta à la batterie Lancastre, où les premiers soins lui furent prodigués. Pendant le trajet, les soldats qui rencontrèrent le brancard sur lequel était étendu le général se découvraient avec un sentiment à la fois de douleur et de vénération.


Librement inspirées des mémoires du général de la Motte Rouge.

Les ordres pour l'attaque.

Le vendredi, 7 septembre, le général Bosquet convoqua à son quartier général tous les officiers généraux et chefs d'état-major des divisions sous ses ordres. Réunis vers 1 heure après-midi, dans le grand salon de sa baraque, il nous fit part de l'intention du général en chef de donner l'assaut à la place de Sébastopol, sur toutes les parties de l'enceinte, le lendemain 8 septembre ; l'heure de midi fut choisie pour l'assaut de Malakoff, de la courtine et du redan du carénage. Celui du grand redan, qui devait être livré par les Anglais, celui du bastion central et celui du bastion du Màt, assignés aux divisions Levaillant et Bouat, seraient ordonnés lorsqu'on verrait flotter le drapeau français sur Malakoff.
Le général Bosquet, déployant alors le plan des attaques, assigna à chacun des généraux divisionnaires la mission qui lui était confiée par le général en chef. Ainsi le général de Mac-Mahon reçut l'ordre d'attaquer Malakoff, de s'y loger et de s'y maintenir coûte que coûte ;
Moi, je reçus l'ordre d'aborder la courtine, de m'en emparer, d'y établir solidement ma 2e brigade, après avoir jeté ma première sur un ouvrage en terre encore inachevé, à deux cents mètres environ de cette courtine et servant à relier la gorge du redan du Carénage (ou petit redan) avec la gorge de Malakoff. Les troupes de ma première brigade, arrivées sur cette position, devaient se cramponner contre les parapets et donner la main, à gauche aux troupes de Mac-Mahon, à droite à la brigade Saint-Pol, de la division Dulac, qui était chargée de tourner une énorme batterie considérée comme pouvant nous faire beaucoup de mal. Ces positions enlevées, je devais m'y maintenir, quelques que fussent les efforts de l'ennemi pour m'en déloger.
Le général Dulac eut pour mission d'attaquer le redan du carénage, de s'en emparer et, aussitôt après, de prendre à revers la batterie dont j'ai parlé plus haut, avec sa première brigade qui se trouverait ainsi donner la main à la brigade Bourbaki de ma division ; puis avec sa 2e brigade se jeter à droite, du côté de la maison en croix, l'enlever et prendre à revers la ligne d'ouvrages et de batteries qui s'étendait depuis celle maison (sorte de petite forteresse) jusqu'à la mer.
La 2e brigade de la division d'Aurelle, commandée par le général de Marolles fut désignée pour servir de réserve à la division Dulac, conjointement avec le bataillon de chasseurs à pied de la garde impériale, comme je le dirai tout à l'heure.
La garde impériale fut naturellement désignée pour former les réserves des trois divisions d'attaque et fut ainsi répartie : Le régiment de zouaves, auquel on adjoignit la brigade Wimpffen, de la 2e division du 2e corps, détachée momentanément des troupes d'observation, dut appuyer 1'attaque du général de Mac-Mahon. Les grenadiers et voltigeurs, sous le commandement direct du général de division Mellinet, reçurent l'ordre d'appuyer mes troupes (5e division). Les chasseurs à pied, comme je l'ai dit plus haut, furent attachés à la division Dulac.

La préparation de l'assaut.

Le général Bosquet donna l'ordre au général Beuret, commandant de l'artillerie, de prendre ses dispositions pour que les deux batteries de ma division, la 6e et la 9e du 10e régiment, fussent massées près de la batterie Lancastre à 11 heures, se réservant toutefois lui-même d'apprécier le moment où il serait utile de les engager. Elles étaient commandées par le chef d'escadron Souty venant de France et débarqué depuis trois jours.
Comme il était nécessaire de faciliter l'arrivée de ces batteries sur le terrain, en avant de la courtine où elles devaient agir, le général du génie Frossard reçut l'ordre de faire ouvrir, dans la nuit même, des ouvertures dans les parapets et d'agrandir les boyaux où elles devaient s'engager pour arriver à leur poste. Ce même officier général qui, pendant tout le siège, a fait preuve d'une haute capacité et d'une grande énergie, prévoyant les difficultés de l'assaut, avait fait préparer, au parc du génie, des échelles armées aux extrémités de deux crochets destinés à se ficher en terre et dont les barreaux étaient recouverts de planches ; elles étaient très longues et formaient autant de petits ponts qui devaient singulièrement faciliter le passage de la fosse ; aussi nous furent-elles d'une grande utilité. Le général Bosquet décida qu'une compagnie de voltigeurs de chaque colonne d'attaque, accompagnée d'une escouade de sapeurs du génie, serait chargée du transport, de ces échelles et marcherait à hauteur des têtes de colonne, sous la direction d'un officier du génie.
Afin de tromper l'ennemi sur nos projets, nos batteries de siège reçurent l'ordre de faire un feu terrible, dès la pointe du jour, de le continuer ainsi à volonté jusque vers 9 heures, de le ralentir alors, et à 11 heures 1/2 de le reprendre avec encore plus d'intensité que le matin, si c'était possible, afin d'écraser sous une pluie de projectiles tout ce qui se trouverait dans les défenses de la place et les rendre intenables ; puis, quand les colonnes d'assaut se seraient ébranlées, de tirer à grande portée et sous un angle plus ouvert.

   

Joseph Edouard de la Motterouge

Il relate dans ses mémoires les quelques heures précédent l'attaque :

Rentré dans ma tente vers les 9 heures, j'achevai une lettre à ma femme. Je lui annonçai que le lendemain a pareille heure nous serions certainement maîtres de Sébastopol, que j'avais pleine et entière confiance dans le succès de nos armes et l'espoir de lui être conservé. Bien des fois depuis, j'ai relu cette lettre, et je dois dire que mon âme était calme en l'écrivant, comme doit l'être celle d'un chef chargé d'une aussi grande mission que celle qui m'était confiée.
La nuit fut bonne, je dormis d'un profond sommeil jusqu'au point du jour. Aussitôt levé, je m'assurai de l'exécution des ordres de la veille ; les troupes étaient déjà debout et la soupe au feu ; elle fut mangée entre 6 heures 1/2 et 7 heures.

Mon déjeuner fut servi à 7 heures 1/2 ; il fut court, arrosé du meilleur vin de Bordeaux de ma cave. Avant de nous lever de table, nous choquâmes nos verres, mes officiers et moi, nous nous souhaitâmes la meilleure chance et on nous amena nos chevaux. Je montai à cheval à 8 heures précises et, accompagné de mon chef d'état-major, le lieutenant-colonel Delaville, de mes aides de camp et officiers d'ordonnance, MM. de la Boissière, Multzer et de Ménorval, des capitaines d'état- major Royer et Loizillon, nous partîmes pour les tranchées.

Les minutes avant l'attaque.

Au point du jour, depuis la Quarantaine jusqu'au Carénage, ce fut un embrasement général ; jamais tant de détonations ne se firent entendre, jamais autant de pièces d'artillerie ne furent opposées les unes aux autres. Huit cents pièces, de notre côté, portaient la mort et l'incendie dans les ouvrages russes, dont les défenses ne pouvaient résister longtemps à de pareils efforts, malgré l'armement prodigieux dont elles disposaient. D'après les ordres donnés et pour tromper l'ennemi, le feu s'affaiblit peu à peu jusqu'à 9 heures du matin, moment où il fut ce qu'il était aux jours ordinaires. Les Russes s'y laissèrent prendre et, ne croyant plus à l'assaut, pour cette matinée-là, retirèrent les troupes de réserve massées derrière leurs ouvrages et les mirent à l'abri de nos feux dans les ravins Outchakof et Oupanakoff, situés près de la mer et à peu près hors de portée de nos pièces.
Après avoir reçu avis par mes officiers d'état-major que toutes mes troupes étaient placées ou sur le point de l'être, je me dirigeai vers la 6e parallèle. J'y trouvai le 4e bataillon de chasseurs et le 86° de ligne ; dans les carrières et dans les boyaux adjacents, situés à 50 mètres en arrière de cette parallèle, se trouvait le 100e de ligne ; le 49e et le 91e occupaient, comme je l'ai dit, la 5e parallèle. Je m'arrêtai quelque temps au point de la 6e parallèle, où devait être placé le guidon du général Bosquet. On avait préparé, au moyen de sacs à terre, un petit, emplacement en plein air qui devait lui servir de quartier général. Je parcourus ensuite la 6e parallèle dans toute l'étendue occupée par mes soldats ; je les trouvai gais, contents, arrangeant leurs armes comme les soldats de Léonidas aux Thermopyles. Je leur rappelai en passant devant eux, d'une voix brève et énergique, combien je complais sur eux, combien j'étais certain qu'ils feraient dignement et noblement leur devoir.
Leurs paroles comme leurs visages me dirent tout ce que je pouvais en attendre. Après avoir visité le 100e , je fus informé de l'arrivée du général Bosquet; j'allai au-devant de lui et je l'accompagnai jusqu'à son poste de combat.

L'assaut est donné.

Le grand moment approchait ; à 11 heures 3/4, je pris ma montre dans ma main et, debout contre le parapet, j'attendis que la grande aiguille marquât midi. Tout dans ce moment était solennel dans les tranchées ; l'artillerie, qui vers 11 heures 1/2 avait redonné à son feu toute l'intensité du matin, faisait trembler la terre de ses détonations. Jamais un bruit pareil ne se fit entendre. Enfin l'aiguille de ma montre marqua midi ! Je vis aussitôt les tirailleurs de Mac-Mahon franchir leurs parapets. Sautant moi-même sur les premiers gradins de franchissement et l'épée à la main, je criai de toute ma voix : " 1ere brigade, en avant ! Tambours et clairons, battez et sonnez la charge ! Vive l'Empereur ! " Avec ces mots le 4° bataillon de chasseurs et le 86e s'ébranlent, le général Bourbaki en tête, et s'élancent au pas de course. Ils sont bientôt suivis par le 100e de ligne qui, sortant des carrières, franchit à son tour la 6e parallèle et appuie les trois bataillons déjà lancés sur l'ennemi et courant tête baissée sur la Courtine. Je saute alors de l'autre côté de la 6e parallèle et, l'épée haute, j'appelle à moi le 49e et le 91e de ligne qui, après avoir passé tous les obstacles que leur présentaient les parapets et le peu de largeur des boyaux de communication, se rallient, le 49e près de moi, le 91e un peu sur ma gauche, et l'un et l'autre corps, formant une colonne sous mes ordres directs, marchent sur la Courtine qui vient d'être enlevée d'un seul bond, pour ainsi dire, par le 4e bataillon de chasseurs et le 86e . Ces troupes, après un combat corps à corps avec les Russes qu'elles rejettent sur le second ouvrage, se précipitent sur celui-ci, en prennent possession et, collées contre le parapet, se disposent à défendre leur conquête avec autant d'énergie qu'elles ont mis d'ardeur à s'en emparer. Quelques hommes même, emportés par leur entrain, vont se faire tuer ou prendre aux abords du faubourg de Karabelnaïa. Le 100e suit ces deux régiments, et les 49e et 91e, après avoir franchi avec assez de difficulté trois rangs de trous de loup, prennent position sur la Courtine. J'établis mon quartier général à la coupure, à peu près au centre de l'ouvrage. L'ennemi, en nous abandonnant la position, laissait en notre possession trois batteries de gros calibre dont les feux n'avaient pas été assez puissants pour arrêter notre élan. Deux de ces batteries, armées, l'une de six pièces, l'autre de quatre, flanquaient la coupure à laquelle une pièce était adjacente ; celle de quatre se trouvait à la naissance du ravin d'Oupanakoff, à mi-distance de la coupure au petit redan ; la 3e, de six bouches à feu, dont deux mortiers, était à quelques mètres en dessous de la jonction de la Courtine avec le flanc gauche du bastion de Malakoff.

Général Bourbaki
Commandant une brigade
Blessé d'un coup de feu à la poitrine
Fait commandeur de la Légion d'Honneur

Capitaine Boquet
Aide de camp du général Bourbaki
Blessé

Pendant que la 5e division courait en droite ligne sur la Courtine, la lere division sautait dans Malakoff. Notre attaque fut si brusque et si peu attendue par les Russes, à cette heure de la journée, qu'il n'y avait alors, derrière les parapets, que les hommes chargés du tir des pièces et tes sentinelles placées en observation le long de ces parapets. La quantité de projectiles que nos batteries faisaient pleuvoir, sur Malakoff notamment, avait obligé les Russes à s'abriter sous les nombreux blindages qui existaient dans cet ouvrage, tous construits de manière à résister au choc des bombes du plus gros calibre. Les parties non abritées étaient devenues, pour ainsi dire, intenables sous un pareil feu et l'ennemi, persuadé que nous ne pouvions songer à aborder en plein soleil d'aussi formidables défenses, avait, comme je l'ai dit, retiré ses réserves à 9 heures du matin.
Dès que les sentinelles de garde aperçurent les zouaves du 1 er régiment sur les parapets, elles jetèrent l'alarme en s'écriant : " Les Français dans Malakoff. " Mais, elles l'avaient à peine donnée, qu'attaquées corps à corps par nos soldats, elles ne purent offrir de résistance au torrent qui se précipitait dans la redoute. Les défenseurs, poussés de traverses en traverses, finissent, malgré leur dévouement et leur courage, par être chassés de l'ouvrage et le drapeau français y remplace le drapeau russe, qui est amené et remis au général de Mac-Mahon, arrivé dans la redoute, dès que ses soldats en avaient escaladé les parapets. La redoute avait une ouverture à la gorge, il fallait la fermer à tout prix, les Russes devant naturellement se reporter en force sur cette ouverture pour reprendre l'ouvrage. Le général de Mac-Mahon ordonna immédiatement de se mettre à l'œuvre ; l'opération était dangereuse ; tous les feux de l'ennemi, revenant par masses, se dirigeaient sur ce point ; mais, malgré les pertes que ces feux firent éprouver aux troupes de la l re division, répandues pêle- mêle dans la redoute, l'ouverture fut fermée et dès lors Malakoff fut à l'armée française. .

Premières difficultés.

Mais quittons un instant Malakoff et portons-nous au petit redan. Là aussi la division Dulac, au signal de son chef, s'élança énergiquement en avant, la première brigade en tête, et franchissant les parapets de cette redoute, en chassa promptement l'ennemi puis le poussa jusque dans les têtes des ravins qui atteignaient, pour ainsi dire, les fossés de l'ouvrage du côté de la ville. Le général de Saint-Pol, soit qu'il ne pût arrêter ses soldats dans leur élan, soit qu'il eût omis d'occuper par un fort détachement 1'intérieur du petit redan, eut bientôt affaire aux réserves russes massées de ce côté. Celles-ci gravissant au pas de charge les pentes du ravin dont je viens de parler et ayant affaire à des hommes essoufflés, que leur ardeur avait emportés trop loin, les ramenèrent rapidement dans le petit redan, y entrèrent avec eux et s'v établirent en forces si considérables qu'il devint impossible d'y pénétrer pendant le reste de la journée. Pourquoi le général de Saint-Pol, si brave, si impétueux, ne se massa-t-il pas derrière la batterie qu'il était chargé de tourner et derrière les parapets du redan qui le joignaient presque ? C'est ce que la retraite trop précipitée de ses troupes l'empêcha sans doute de faire. Nos soldats, si ardents, si énergiques, quand il s'agit de marcher en avant, ont cela de fâcheux, c'est qu'il est difficile de mettre de l'ordre parmi eux lorsqu'ils sont en retraite. Ce mouvement en arrière fut extrêmement regrettable et compromit un instant le beau succès que venaient d'obtenir les troupes de ma division.

En effet, le général Bourbaki, dont l'aile droite appuyait à la grosse batterie dont elle était même en possession et l'aile gauche à Malakoff, tourné par sa droite par les nombreux bataillons russes qui reprenaient le petit redan, dut se retirer sur la Courtine, afin de ne pas être pris à revers par les feux de mousqueterie des troupes de l'ennemi. Cette marche rétrograde entraîna un instant les hommes de la 2e brigade qui occupaient l'extrémité de la Courtine attenante au petit redan ; mais les bataillons de cette brigade, postés sur les autres parties de la Courtine, firent bonne contenance et reçurent dans leurs rangs le 4e bataillon de chasseurs à pied, le 86e et le 100° de ligne. Pendant cette action, le général Bourbaki fut gravement atteint d'un coup de biscaïen au côté et dut se retirer du champ de bataille ; son aide de camp, le capitaine Boquet, reçut une balle dans la cuisse. Les drapeaux de ma division flottaient sur la Courtine ; les hommes, que le mouvement de retraite de la lere brigade et l'abandon du petit redan par les soldats de la 4e division, avaient momentanément obligés de quitter le parapet de la partie Est de la Courtine, revinrent bientôt à leur poste et. Joignant leurs feux à ceux d'un groupe nombreux resté inébranlable sur la partie située entre la coupure et Malakoff, causèrent de grandes pertes aux Russes, quoique ces derniers eussent sur nous l'avantage de position plongeante et qu'ils pussent s'abriter derrière les nombreuses traverses du petit redan et dos ouvrages attenants. C'est sur ces groupes que j'ordonnai de diriger tous les feux. Mais les réserves russes arrivaient sur ces points de plus en plus nombreuses ; bientôt elles prirent une vigoureuse offensive et, longeant l'intérieur du parapet de la Courtine, de forts détachements pénétrèrent jusqu'à la batterie de quatre pièces la plus rapprochée du petit redan, faisant le coup de feu avec mes soldats qui, blottis contre ce parapet, contre les traverses de la coupure et dans les excavations situées en avant de la Courtine, sur la gauche de cette coupure, les accueillirent avec une fusillade si vive et si bien dirigée qu'ils durent rentrer précipitamment dans le petit redan ; il pouvait être une heure de relevée. .

C'est alors qu'arriva le 1er régiment des voltigeurs de la garde impériale dont j'avais chargé mon 2e aide de camp, le lieutenant Multzer, de presser la marche, en le dépêchant près du général Bosquet. Au moyen de ce renfort, nous occupâmes de nouveau le parapet et le fossé de la Courtine en entier ; mêlés à mes soldats, ces voltigeurs rivalisèrent avec eux de courage et d'énergie. La brigade Saint-Pol, soutenue par les corps de la 2e brigade et particulièrement par le bataillon de chasseurs à pied de la garde impériale, commandant de Cornulier-Lucinière, tenta vainement de reprendre le petit redan. La position de ma division, découverte sur son aile droite et prise de flanc, presque à revers, par les feux des nombreux tirailleurs russes qui occupaient le petit redan, devenait très difficile ; mes cartouches commençaient à s'épuiser. J'envoyai une seconde fois mon aide de camp (1 heure 3/4), le lieutenant d'état-major Multzer, prévenir le général Bosquet de l'état des choses et demander des munitions et du renfort. Quand il arriva au point de la sixième parallèle où se tenait cet officier général, celui-ci venait d'être très grièvement blessé par un éclat de bombe et les médecins étaient occupés à le panser.

Le général Dulac, le plus ancien divisionnaire des troupes combattantes, avait été appelé à le remplacer dans le commandement, par ordre du général en chef qui, du mamelon vert, où il était établi depuis le commencement de l'action, jugeait de toutes ses péripéties. Au moment où le commandant du 2° corps venait d'être si gravement atteint, la brigade des grenadiers de la garde impériale, le général de division Mellinet et le général de brigade de Pontevès en tête, franchit la 6e parallèle et, traversant en colonne ce terrain si tourmenté de mitraille qui les séparait de nous, venait prendre position contre la Courtine et joindre ses efforts aux nôtres.
Vers 2 heures 20 minutes, les deux batteries montées de ma division (6e et 9e du 10 e d'artillerie), commandants Rapatel et Deschamps, ayant le chef d'escadron Souty à leur tête, et appelées par le général Bosquet franchissaient au galop de leurs chevaux le terrain préparé pour leur passage et venaient prendre position, avec un indicible élan, à 100 mètres en avant de la 6e parallèle et couvraient de mitraille les bataillons russes qui occupaient le petit redan. Mais bientôt assaillies par toutes les pièces de l'ennemi qui avaient vue sur elles, couvertes de projectiles de tout calibre, voyant tomber leurs officiers et un grand nombre de canonniers et de chevaux, sauter leurs caissons, elles durent abandonner le terrain et se retirer dans les tranchées. Ce mouvement d'artillerie, exécuté à 300 mètres de l'ennemi et sous le plus effroyable feu qui puisse se voir, fait le plus grand honneur à ces deux batteries. Mais avant que ces troupes fussent arrivées sur le lieu du combat, les bataillons de ma division et les voltigeurs de la garde impériale avaient dû faire de grands efforts pour repousser une attaque forcenée des Russes, débouchant du petit redan et par la gauche de leur seconde ligne. Ils se ruèrent de nouveau sur la Courtine et, longeant une seconde fois le parapet, ils parvinrent jusque auprès de la grande batterie située près de la coupure. Accueillis par les feux de mes hommes non moins vigoureux que la première fois, ils durent s'arrêter là, les uns prenant des pierres pour les jeter par-dessus le parapet sur la tête de mes soldats, d'autres montant audacieusement sur la crête pour tirer presque à bout portant sur eux, dans le fossé où ils se trouvaient entassés par suite de cette attaque furieuse. Les feux de l'ennemi, posté dans le petit redan, étaient si vifs que beaucoup de nos hommes qui les recevaient à découvert avaient une grande tendance à se rapprocher du parapet et à descendre dans le fossé. Voyant cela, je me jetai au milieu d'eux et leur prescrivis d'opposer feux pour feux, de s'étendre sur la droite et de ne pas se masser comme ils le faisaient. Quand ils me virent au milieu d'eux, l'épée haute et mon képi au bout de mon épée, ils accueillirent par un immense vivat mon cri de " Vive l'Empereur ! ", et, redoublant leurs feux, d'un côté, sautant sur les crêtes du parapet envahi par les Russes, de l'autre, ils les eurent bientôt chassés non seulement de la batterie, mais encore de toute la Courtine, puis rejetés dans le redan et derrière la seconde ligne. .

Ce combat si rude pendant quelques instants venait de se terminer, quand arrivèrent les deux batteries de ma division suivies à petite distance de deux bataillons de grenadiers sous les ordres du général Mellinnet ; ces batteries restèrent à peine 20 minutes sur le champ de bataille et durent, ainsi que je l'ai dit, rentrer dans les tranchées, après des pertes nombreuses. Bien des hommes se conduisirent avec une grande valeur dans cette lutte presque corps à corps, contre un ennemi qui, se voyant vaincu, n'en montrait que plus d'énergie. Tout ce qui m'entourait fut admirable d'élan et d'ardeur ; soldats de la ligne, soldats de la garde rivalisèrent dans l'accomplissement du plus grand devoir qu'il est donné à l'homme de remplir. Que de douloureuses pertes aussi nous venions de faire ! On m'annonça que mon chef d'état-major, le colonel Delaville, avait été mortellement blessé d'une balle dans le bas ventre ; que mon neveu et officier d'ordonnance, le lieutenant de Ménorval, avait eu la jambe brisée par une balle et, comme le chef d'état-major, venait d'être transporté dans les tranchées. Un autre jeune officier de la garde impériale, M. Ferrus, qui avait servi sous mes ordres au 19° léger, venait aussi d'être tué tout près de moi ; Il pouvait être 2 heures 1/2 quand les grenadiers de la garde vinrent prendre position contre la Courtine. Le 1er régiment, sous les ordres du colonel Blanchard, le général de Pontevès en tête, prit poste dans le fossé et contre le parapet, entre la coupure et le petit redan ; et le 2e régiment, colonel d'Alton, entre Malakoff et cette coupure. Le fossé et le parapet étant déjà encombrés dans cette partie par plus d'hommes qu'il n'en fallait ; je prescrivis au colonel de faire coucher ses soldats dans un pli de terrain, à quelques mètres de distance du fossé qui les défilait un peu des feux plongeants de l'ennemi. Néanmoins beaucoup d'entre eux furent atteints dans cette position ; du reste le terrain depuis Malakoff jusqu'au petit redan, particulièrement près de la coupure, était couvert de morts et de blessés. Il avait été défendu de les enlever avant la fin de la bataille, et cet ordre fut généralement exécuté tant que notre succès ne fut pas assuré. .

La situation se stabilise dans Malakoff, mais le redan resiste.

Pendant que la 5e division et ses réserves de la garde repoussaient si énergiquement cette dernière attaque des Russes, les troupes de la lere division, renforcées de la brigade Wimpfen, avaient affaire aux réserves russes qui, conduites par le général de division Krouleff, un des plus braves de l'armée ennemie, revenaient à la charge pour reprendre Malakoff. Plusieurs fois leurs efforts vinrent échouer contre l'inébranlable ténacité de cette division qui leur tua un monde énorme et les rejeta derrière les maisons qui entouraient Malakoff. La redoute, une fois fermée, devenait imprenable et, vers 4 heures, l'ennemi voyant ses efforts impuissants de ce côté, comme à la Courtine, cessa ses retours offensifs, mais n'en continua pas moins ses feux de mousqueterie et d'artillerie qui conservèrent une grande intensité jusqu'au soir.
Sur la droite, la division Dulac, commandée par le général Bisson, depuis que son chef avait pris le commandement de toute la ligne, faisait de vains efforts pour rentrer dans le petit redan. Le terrain, qui séparait le fossé du saillant de la 7 e parallèle, était littéralement couvert d'un monceau de cadavres. Les hommes sortant des tranchées par petites fractions ne pouvaient avoir la force suffisante pour chasser l'ennemi de l'ouvrage ; beaucoup, en traversant l'espace qui les séparait du fossé, recevaient la mort ou étaient grièvement blessés avant d'avoir pu franchir ces 25 ou 30 mètres. Voyant les difficultés insurmontables que rencontrait l'élan de ces braves soldats, je donnai l'ordre au colonel d'Alton de longer le fossé de la Courtine avec son régiment et d'aller les aider à escalader le parapet. Cet officier supérieur, plein d'entrain et d'énergie, se mit immédiatement en mouvement ; mais, arrivée à cent mètres du petit redan, sa tête de colonne fut tellement maltraitée par les feux plongeants de l'ennemi qu'il dut se jeter dans les fossés de la Courtine et se borner comme les autres troupes, déjà sur ce point, à diriger son feu sur les embrasures et sur les parapets de l'ouvrage.
Avant que ce mouvement ne fut ordonné, vers les 3 heures environ, le général de division Mellinet vint au poste où je me tenais près de la coupure ; il n'y avait à peine quelques instants que nous causions ensemble sur la nécessité d'empêcher nos hommes de se jeter dans le fossé, comme ils avaient généralement une tendance à le faire, qu'un projectile vint l'atteindre à la joue droite et l'étendit à terre. Au même moment, mon aide de camp Multzer, qui était en tiers partie avec nous, fut atteint d'une balle à la tête ; je fus donc le seul du groupe épargné. Je ne doute pas que les Russes, nous ayant reconnus à nos uniformes, n'aient dirigé leurs feux sur nous. Plusieurs hommes de la garde vinrent immédiatement relever le général Mellinet et le portèrent dans les tranchées : je pus lui serrer la main et fus heureux de constater qu'il respirait encore ; il était tout défiguré et sa blessure était affreuse à voir. Multzer dut également quitter le champ de bataille, la balle lui avait labouré profondément la tête et le cuir chevelu ; mais fort heureusement il n'en résulta rien de grave. Un peu avant, le capitaine Royer, de mon état-major, avait été frappé dans le bas des reins par une balle.

Capitaine Multzer
Aide de camp du général de la Motterouge
Blessé

Capitaine Royer
Etat major
Blessé

Précédemment et pour ainsi dire dès le commencement de l'action, mes corps de troupes avaient été vivement éprouvés. Le commandant Clinchant, du 4e bataillon de chasseurs, brave officier s il en fut, blessé d'un coup de baïonnette à la cuisse, avait dû quitter le champ de bataille ; le colonel de Kcrguorn, du 49e , avait été tué en abordant la Courtine ; le colonel de Bertier, du 86e avait reçu une balle dans le bras droit, près de l'épaule, blessure des plus graves et qui a failli l'emporter ; le colonel Montera, des voltigeurs de la garde, avait été atteint mortellement ; le colonel Blanchard, du 1er de grenadiers, dut se retirer du combat quelques instants après le général Mellinet, ayant été grièvement blessé au bras; plusieurs chefs de bataillon étaient morts ou hors de combat. Ces pertes dénotent suffisamment combien la résistance des Russes fut grande sur cette partie de leurs défenses.

Le général est blessé.

Vers 4 heures, je quittai le poste de combat où je m'étais tenu depuis le commencement de l'action et j'allai causer quelques instants avec le colonel Picard, du 94e de ligne, qui se tenait contre le parapet à 30 ou 60 mètres au-dessus de la coupure. Je m'assis un instant près de lui ; mais de cet endroit ne pouvant juger parfaitement ce qui pouvait se passer sur toute la ligne occupée par mes troupes, je montai un peu plus haut vers Malakoff, ayant avec moi, pour tout officier, le capitaine Brunet de la Charie, adjudant-major au 2e régiment de grenadiers de la garde impériale, que j'avais eu l'occasion d'envoyer en mission et que j'avais pris pour aide de camp, tous les miens étant tués ou blessés. Je pris poste sur le parapet, un peu au-dessous de la batterie de six pièces placées à l'extrémité de la Courtine. Les projectiles de l'ennemi y arrivaient en belle quantité. Plusieurs hommes avaient déjà été tués sur ce point ; leurs cadavres gisaient à côté de moi. J'étais très fatigué et, ayant eu très chaud pendant tout le temps de l'action, je m'assis de nouveau contre la crête du parapet ; ayant témoigné que je sentais le froid me gagner les épaules, un officier, appartenant à l'état- major de la garde, m'offrit son manteau. J'étais donc assis à mon nouveau poste depuis quelques instants lorsqu'une explosion immense se fait entendre ; en levant la tête, je vois au-dessus de moi un nuage de pierres, de gabions, de fascines, de poutrelles qui menaçaient de m'écraser avec tout ce qui m'entourait. J'avais à peine entendu l'explosion et levé les yeux, que je me sentis frappé à la tète par une pierre qui m'atteignit entre l'œil gauche et la tempe et me fit rouler au fond du fossé. Pendant la descente rapide que je fis sous la violence du coup, je fus atteint Par d'autres pierres qui heureusement avaient perdu de leur force. Bientôt on vint m'aider âme relever ; j'étais inondé de sang, mon œil avait pris un tel degré de grosseur que je le croyais hors de l'orbite ; l'os sourcillaire, brisé par le choc de la pierre, avait assez résisté pour empêcher l'œil d'être atteint gravement. L'explosion qui venait d'avoir lieu était celle des magasins à poudre des batteries de la Courtine, construits dans le parapet même et près de la grosse batterie de 6 pièces située à côté de la coupure.


Le colonel Picard, qui se trouvait près du cratère du volcan, fut presque enterre lui-même et eut la clavicule du bras gauche brisée. Cette explosion si inattendue porta le désordre parmi les hommes qui défendaient cette partie de la Courtine ; croyant tout le terrain miné, ils avaient déjà opéré un petit mouvement de retraite vers les tranchées ; mais les cris : " Au parapet ! au parapet ! " prononcés énergiquement par leurs chefs, les eurent bientôt ramenés à leur poste.
Parmi les officiers qui montrèrent le plus d'entrain dans cette circonstance, je citerai le capitaine d'état-major Loizillon, de ma division, et le capitaine Brunet de la Charie. Comme ou m'aidait à me relever, j'entendis distinctement leurs voix. Dans la chute que je venais de faire, j'avais perdu mon képi et ma canne, et on m'avait vu si maltraité que I e bruit se répandit immédiatement dans les tranchées et jusque dans les camps que j'avais été tué. Dès que je fus debout, je fis informer le général Dulac qui, comme on le sait, avait remplacé le général Bosquet dans le commandement, que, par suite de la blessure que je venais de recevoir, j'étais obligé de quitter le champ de bataille et fit remettre le commandement au plus ancien officier supérieur valide, qui était le lieutenant-colonel de Chabron, du 86e.

  

Henri Loizillon

Officier d'état major, Henri Loizillon est attaché à l'état major du général de la Motte Rouge. a servi en Crimée où il a été blessé lors de la prise de Sébastopol le 8/9/1855.
Il a laissé une correspondance fournie de sa campagne.

Lettre du 11/9/1855
Tout à coup, au milieu de cette accalmie relative, un mouvement se produit pareil à un tremblement de terre. Il nous balaie et nous reverse en un clin d'oeil.
J'étais à côté du général : nous somme projetés en arrière, toujours l'un près de l'autre, mais sans mal, lorsqu'ensuite viennent toutes les pierres et les décombres. Ayant echappé aux premières pierres nous nous croyions sauvés et nous relevions déjà la tête, quand nous apercevons une enorme poutre de blindage qui nous arrivait en droite ligne. Elle alla frapper par l'une de ses extrémités une grosse pierre derri_ère laquelle le général avait abrité sa tête. Cette pierre a été brisée et lui a déchiré toute la figure. heureusement sa blessure, quoique très douloureuse, est sans gravité et il sera bientôt guéri.
Quant à moi, lorsque la poutre a achevé sa chute, j'ai roulé avec elle, ainsi que le général et tous ceux qui se trouvaient près de nous. Je me suis relevé contusionné de partout et mon premier mouvement a été de chercher le général ; mais comme nos hommes, saisi alors par une nouvelle panique abandonnaient la position, j'ai couru au plus préssé, c'est-à-dire que j'ai pris tout ce que j'avais d'officiers et de sous officiers à qui j'ai fait mettre le sabre à la main pour arreter les hommes qui fuyaient et je suis parvenu à les faires remonter sur le parapêt.
A partir de ce moment j'ai pris, moi capitaine, le commandement de toute la division, car dans cette explosion, le commandant Tellier du 16e léger a été ecrasé avec quatre officiers de son régiment. Le colonel du même régiment a eu d'affreuses blessures dont il guérira cependant.
J'ai conservé ce commandement jusqu'au moment où j'ai rencontré le lieutenant colonel du 16e léger qui se trouvait dans notre sixième parallèle, et c'est alors que je lui ai remis.
("Lettres de Crimée" - Capitaine Loizillon)

 

Bien que les batteries de la place et les bâtiments de la Flotte continuassent leurs feux avec une grande intensité, la soirée se passa sans aucun nouvel effort de l'ennemi pour reprendre ses positions. Sous la protection de ses feux, il faisait tous ses préparatifs pour évacuer complètement la ville pendant la nuit, voyant que toute résistance plus opiniâtre devenait inutile et ne contribuerait qu'à amener de plus grandes pertes, peut-être même, à exposer gravement le salut de la garnison, qui n'avait d'autre moyen de retraite que le pont jeté sur la rade et les bateaux à vapeur de sa Flotte. En effet, maîtres de Malakoff et de la Courtine, nous dominions le petit redan à droite, le grand redan à gauche, le bastion du Màt même, le port, la rade ; et nos nouvelles positions, armées de gros calibres, rendaient intenable particulièrement tout le système de défense de Karabelnaïa.
En effet, dès le commencement de la nuit, le petit redan fut évacué et son abandon par l'ennemi suivi d'une détonation immense. C'étaient les mines, pratiquées dans l'intérieur de cet ouvrage, qui sautaient et couvraient de débris tous ses abords. Combien d'hommes furent encore ensevelis sous ces masses de pierres et de projectiles lancés dans toutes les directions ! Puis successivement vinrent d'autres explosions dans les lignes de Karabelnaïa, du côté des bastions opposés à nos attaques de gauche, dans l'intérieur de la ville.


Historique des régiments

Enfin midi sonne ; c'est le signal. Un long frémissement parcourt les rangs de nos soldats, les masses s'ébranlent, l'assaut est commencé. Le 86e sort du centre de la 6e parallèle. Tambours et clairons battant et sonnant la charge aux cris de " Vive la France ! Vive l'Empereur ! " nos intrépides soldats s'élancent sur la grande courtine, ayant à leur tête de général Bourbaki.
Malgré le terrain difficile qu'ils ont à parcourir, malgré la fusillade qui les fauche, nos soldats arrivent devant le front de la courtine, sautent dans le fossé, franchissent l'escarpe et avec un élan indicible enlèvent les retranchements. Le sous-lieutenant Giraudon plante notre drapeau sur le parapet ; il tombe blessé et une balle vient couper la hampe en deux morceaux. Le Lieutenant-Colonel de Chabron arrive un des premiers sur la position, aidé par le tambour-major Longchambon qui tombe aussitôt frappé d'une balle. Le colonel de Berthier, sérieusement malade depuis quelques jours, avait voulu rester à la tête de son régiment pour monter à l'assaut. Il reçoit un coup de feu qui lui casse le bras droit et il est obligé de remettre le commandement au lieutenant-colonel.
Nos bataillons abordent alors la 2e ligne de défense de l'ennemi. La mitraille renverse des rangs entiers, mais rien ne peut arrêter l'élan de nos soldats électrisés, enivrés par l'ardeur de la lutte. Ils se précipitent sur le parapet, en chassant l'ennemi, hachant les artilleurs sur leurs pièces. D'intrépides enfants perdus du 86e, avec le Lieutenant-Colonel, vont même frapper aux portes du faubourg. Mais l'ennemi, bientôt reformé sous la protection de sses réserves, nous oblige à revenir prendre position sur la courtine, qui reste définitivement en notre pouvoir.
A 5h, les Russes abandonnent la partie.
Le 86e venait d'accomplir un des faits les plus glorieux de son histoire, en même temps que celle de la France. Il avait le droit d'inscrire " Sébastopol " sur son drapeau. Mais ce droit, il l'avait certes chèrement conquis. 8 officiers étaient tués, les deux commandant Caminade et Besson , les capitaines Delaine et Brave, les sous lieutenants Léons, Thuiller, Ducatillon et Barbier. Les officiers blessés étaient au nombre de 18 : Le colonel de Berthier, le Lieutenant-colonel de Chabron, Desmarets, capitaine adjudant major, Mongin, Baudry, Thomas, de Joinville, Diderot, capitaines ; Mathis, Landini, Morel, lieutenants ; Giraudon, Caillemer, Cupillard, Jacquinot, Duban, Vaillant, sous lieutenants. Le lendemain le régiment n'avait plus présents que 5 officers et 250 hommes sur 699 montés à l'assaut.

Lieutenant Colonel de Chabron
49e régiment d'infanterie
Blessé

 

Nos chasseurs à pied se sont parés comme pour une fête; ils sont là, nerveux et impatients, prêts à bondir, écoutant la voix mâle de nos canons en furie. Midi moins cinq, les batteries cessent toutes leur feu; un silence solennel plane au-dessus de nos têtes; les coeurs battent à tout rompre; les minutes paraissent des siècles. A notre gauche, la tête de colonne du 4e bataillon de chasseurs à pied est appuyée au parapet au-dessus duquel les armes, impatientes, se lèvent par intervalles. " Baïonnettes basses! s'écrie le général Bosquet de sa voix mâle; ne donnons pas l'éveil à l'ennemi. Patience! l'heure viendra! "
A la tête de ce vigoureux bataillon, le commandant Clinchant, le cigare à la bouche, le sabre à la main, attend avec une résolution calme le cri : en avant ! A deux pas de lui, ses clairons, les regards fixés sur leur chef, se tiennent prêts à sonner. Tout à coup une immense clameur s'élève en avant du Petit Redan et de Malakoff. Il est midi; les tambours et clairons battent et sonnent la charge. C'est la lutte suprême qui s'engage.

A la division de la Motterouge, à midi précis, le 4e bataillon de chasseurs à pied s'élance avec impétuosité sur la courtine. Les Russes ne peuvent résister devant cette attaque vigoureuse, ils fuient vers une deuxième ligne de défense sans pouvoir s'y rallier, car les chasseurs les poursuivent jusque dans les premières maisons de Karabelnaïa. Le 4e bataillon, entraîné par son élan, se trouve alors dans une position assez critique; Malakoff n'est pas encore à nous, et la division Dulac vient d'échouer au Petit-Redan; pris à revers, les chasseurs sont obligés de se replier sur la courtine, où les tirailleurs se cramponnent au talus extérieur, faisant le coup de feu par-dessus le parapet, et parviennent à s'y maintenir jusqu'au soir, sous un feu violent et meurtrier, qui leur fait éprouver des pertes considérables. .

Commandant Clinchant
Blessé d'un coup de baïonnet à la cuisse

 

Enfin midi sonne ; c'est le signal. Un long frémissement parcourt les rangs de nos soldats, les masses s'ébranlent, l'assaut est commencé. Le 86e sort du centre de la 6e parallèle. Tambours et clairons battant et sonnant la charge aux cris de " Vive la France ! Vive l'Empereur ! " nos intrépides soldats s'élancent sur la grande courtine, ayant à leur tête de général Bourbaki.
Le 8 septembre, entrainés par l'héroïque colonel de Kerguern, le 49e fut admirable. Le parapets franchis, le 49e s'établit dans l'ouvrage, s'y maintint victorieusement malgré la mort de son valeureux chef, contre les attaques furieuses des Russes et l'explosion d'une poudrière ne put lui faire abandonner sa conquête.
Dans cette bataille de géants, le régiment eut 8 officiers tués, 29 blessés et 341 soldats tués ou mis hors de combat.


Les régiments de la garde impériale

La Garde était destinée à agir comme reserve dernière et à frapper le coup décisif. Les régiments des grenadiers et des voltigeurs, sous le commandement direct du général Mellinet, reçurent l'ordre d'appuyer l'attaque des troupes de la division de la Motterouge.


A l'heure prescrite, la division de la Motterouge s'est élancée sur la courtine et s'y est établie sans pouvoir progresser du côté du petit redan. La position devient critique aussitôt., les Russes s'apprètent à nous repousser de leurs retranchements et à nous rejeter dans les fossés.C'est alors que la Garde entre en ligne..

Les Voltigeurs du 1er régiment franchissent avec ardeur les parrallèles encombrées des troupes de la division La Motterouge. Ils s'élancent impétieusement sur la courtine et chassent les Russes qui vont se réfugier derrière la deuxième enceinte de la place et dans les ouvrages intérieurs du petit redan.

Les deux premiers bataillons du 2e voltigeurs arrivent à leur tour, conduits pal le Colonel Douay. Bientôt les Russes sortent en grand nombre du petit redan pour chasser les voltigeurs de la Courtine. ceux-ci, dignes, héroïques, resistent à tous leurs furieux assauts.

Au 2e régiment de voltigeurs, le commandant Guyot est tué, le commandant Champion et le capitaine adjudant major Sommelier sont blessés mortellement, le lieutenant Girardin et le sous lieutenant Berger sont tués. Entouré par les Russes, le lieutenant Heutte se debarrasse à coups de sabre de ses agresseurs après un combat acharné. le voltigeur Palmié s'est élancé au devant de tous en brandissant son fusil, Mauchet le suit de près et s'arrête bientôt pour relever son capitaine blessé ; il le charge sur ses épaules et va le déposer à l'abri du danger. Retor, voltigeur, ne perd pas son temps : il encloue à lui seul 10 pièces de canon, une balle qui lui crève l'oeil droit l'arrête seule dans son travail
Les capitaines de la Ferrière, Charpentier, Donnève, Marque, Patoureau et Villemin ; les lieutenants Hébart, Collinet, Castel, Dumont, Garnier, Heute, Miallion, Patras, Thore ; les sous lieutenants Bourquin, Blum, Chadefaux, Donati, Lafon, Litzler sont blessés. Le 2e voltigeurs compte 5 officiers et 107 hommes tués, 23 officiers (dont 4 mortellement) et 558 hommes blessés.

Capitaine Jean Baptiste Donnève
Saint Cyrien (1847)
Blessé d'un coup de feu qui lui traverse le bras gauche en montant à l'assaut de la Tour de Malakov
Fait chevalier de la Légion d'Honneur ("a enlevé sa troupe avec energie - blessé")

Capitaine Charles Marque
Saint Cyrien (1848)
Blessé de deux coups de feu, l'un au ventre, l'autre à la jambe gauche
Fait chevalier de la Légion d'Honneur

Sous Lieutenant Clément Emile Chadefaux
Contusion à la tête et au côté droit par un éclat d'obus
et de deux autres à la jambe droite par des pierres

Lieutenant Marie Henri Fortuné Patras
Contusion au dos par suite d'une explosion d'une poudrière

Sous Lieutenant Abraham Blum
Blessé d'un coup de feu au cou

Le courage des soldats de la Garde est au dessus de tout éloge, il dépasse les bornes de la bravoure. Blessé une première fois, le sergent Keller, du 2e voltigeurs, s'adresse à un médecin major qui lui fait un pansement sommaire, et retourne immédiatement à la tête de sa section où il reçoit une seconde blessure.

Sous l'effort d'un nouveau retour offensif de l'ennemi, un mouvement retrograde s'était produit sur la droite de la courtine, la brigade des Grenadiers de la garde (1er régiment, colonel Blanchard, 2e régiment, colonel d'Alton), reçoit l'ordre de se porter en avant.

Les généraux Mellinet et de Ponteves conduisent eux même cette admirable brigade qui s'avance résolument dans le plus grand ordre, en colonnes par sections, à travers les 5e et 6e parallèles, sans être ébranlées par un feu très vif de mitraille et de mousquéterie. Deux bataillons du 1er régiment, sous les ordres du Lieutenant Colonel Gugnet sont placées en réserve dans la 6e parrallèle, avec injonction d'attendre des ordres impératifs du général Bosquet pour continuer leur marche en avant.
L'autre bataillon, conduit par le colonel Blanchard et le deuxième régiment, colonel d'Alton en tête, se déploient avec le plus grand calme pour se porter sur la courtine.
La compagnie du capitaine Normand forme la tête de la colonne d'attaque de ce régiment, elle sera durement éprouvée durant l'assaut.


Pendant le déploiement de la brigade, le général de Ponteves, atteint d'un éclat d'obus à la tête et d'une balle qui lui brise la colonne vertebrale, tombe sans connaissance.

Les grenadiers réoccupent une partie de la courtine abandonnée et se maintiennent couchés par terre sous le feu très vif de l'ennemi. Leurs pertes deviennent bientôt très sensibles : Le colonel Blanchard tombe grièvement blessé, le sergent Andréani se précipite à son secours et l'emporte dans la tranchée poursuivi par le feu de l'ennemi.

Georges Blanchard
Blessé au dessous du téton gauche par une balle qui lui traverse le bras et la poitrine.
Promu Général après la bataille

 

Le lieutenant Margaine du 1er régiment, atteint de deux contusions graves, et le sergent Noel du même régiment, blessé deux fois, refusent de quitter leurs postes de combat. Aux grenadiers, de nombreux officiers sont atteints.

Cependant, la partie de la courtine qui s'appuie à Malakof, protegée qu'elle est contre les retrours offensifs de l'ennemi, reste définitivement en notre pouvoir.

Le 2e régiment des grenadiers reçoit ensuite l'ordre de se porter vers la droite du petit redan où s'organise une nouvelle attaque contre l'ouvrage, sous la conduite du général Mellinet. Mais celui-ci est bientôt grièvement blessé lui même, un eclat d'obus lui fracasse la machoire.

"Sébastopol, le 15/9/1855.

Monsieur le maréchal,

Connaissant tout le bienveillant intérêt que vous avez constamment témoigné au général Mellinet, j'ai pensé que vous seriez heureux d'apprendre que la blessure qu'il a reçue à l'assaut de Malakof, à la tête de sa division, quoique très grave, n'est point mortelle, et que nous le considérons aujourd'hui comme hors de danger.Il a été frappé à la figure par un eclat d'obus qui lui en a fracassé toute une partie, mais n'a pas atteint l'oeil, très heureusement, de sorte que lorsqu'il sera guéri, il ne lui restera sur la joue qu'une belle cicatrice.

Entouré des soins et de l'affection de tous ses amis, le général va de mieux en mieux, mais il est encore bien faible.toutefois j'espère que d'icic quelques jours, il pourra lui même donner de ses nouvelles, ce qu'il aurait été bien heureux de faire aujourd'hui.

Lettre du capitaine Kieffer, aide de camp du général "Mellinet, au Maréchal de Castelanne.

Le général Mellinet
Photo Crémière (Paris)

 

Le 2e grenadier est exposé au feu de la place et des vaisseaux embossés dans la rade. Il éprouve des pertes sensibles. De ce côté il n'y a plus rien à tenter.

Les pertes de la brigade sont sensibles :

Au 1er Grenadiers : Les sous lieutenants Andin et Bellanger sont tués. Blessés, le colonel Blanchard, les capitaines Bazailles, Bocher, Campenon, Desmerliers, Douay, Henrion-Berthier, Pieraggi et Sisco. Les lieutenants Bertrand, de Bainville, Faveris, de Gastand, Lombard, Margaine, Pé de Arros, Piquet, Patissier, Reynal. Les sous lieutenants Delclos, Dulout, Jamotel, Ygrec et Rossignon.


Commandant Ganzin
"A l'explosion d'une mine, a rallié huit bataillons
pour se porter en avant et prevenir un retour offensif des Russes"

Fait officier de la Légion d'Honneur
Ici colonel du 93e RI


Capitaine Campenon
Blessé d'une contusion au bras gauche par un eclat de bombe

 


Lieutenant Dulout
Contusion à la tête et plaie contuse à la jambe gauche par l'explosion d'une poudrière


Capitaine Henrion Bertier
Blessé à la tête par un boulet
Chevalier de la légion d'Honneur
ici général sour la République


Capitaine Bocher
Blessé au genou droit par une pierre
Promu chef de bataillon au 3e régiment de zouaves


Lieutenant Bertrand
Blessé d'un coup de feu à la face postérieure de l'épaule gauche
Photo Daireaux (Paris)

Au 2e Grenadiers étaient blessés les commandant Ponsard et de Montfort, les capitaines Brunet, de Channoir, Bléton, Emmanueli, Groslambert, Moreau, Phalempin, Pendefer, Guimet, Roux, Tonne ; Les lieutenants Carthaud, Groslambert, Lemaitre, Pernot, Rousset, Vincent ; les sous lieutenants Ardouin, Bousquier, Cholleton, Chancenotte, Legros, O'Poise, Pélmoni, Simon, Vincent, Castaing et Binas de Bombarrat. le régiment comptait en outre 63 sous officiers et soldats tués, 15 disparus et 390 blessés.

Colonel d'Alton
2e régiment des grenadiers de la Garde
Fait officier de la Légion d'Honneur.

Lieutenant Rousset (ici commandant le bataillon à Saint Cyr en 1873)
Blessé d'une plaie contuse à la tête par une balle
Photo Franck (Paris)

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Sergent major Gomet
100e RI
Blessé d'un coup de feu au bras gauche
promu officier après la campagne

 

 

 

 

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