Les opérations de "pacification" en Algérie (1846)


Souvenirs d'Afrique (Paul de Castelanne). 

Le 15 mars, laissant le camp établi à Sidi-Yousef, sous la garde des malingres et d'un bataillon du 58e de ligne, le colonel se portait chez les Madiounas, toujours prêts à la révolte. Durant la marche, comme l'on arrivait à la vallée de l'Oued Morglas, le colonel de Saint Arnaud donna l'ordre au lieutenant colonel Canrobert de suivre les crêtes qui bordaient la rive gauche du petit ruisseau, pendant que le capitaine Fleury, avec son escadron  de spahis et 60 chevaux du 5e chasseurs de France, prendraient le milieu de la vallée, prêts à sabrer les kabyles que les zouaves leur rejeteraient, dénonçant l'embuscade ou l'attaque du gros de la colonne qui suivait avec le colonel de Saint Arnaud.


Le maréchal de Saint Arnaud

 

A l'extrémité de la vallée, la cavalerie, formant un arc de cercle, devait se replier vers les zouaves, à la hauteur d'un plateau rocheux indiqué d'avance. Le capitaine Fleury s'avançait avec la prudence audacieuse qui lui avait déjà valu si bonne renommée à l'escadron des spahis formé par ses soins; quelques uns des mieux montés sondaient à 200 pas en avant les replis de terrain; les autres se tenaient serrés autour du chef, attentifs au moindres de ses regards, car en Afrique à chaque moment, l'on est exposé à voir l'ennemi surgir de terre. Dans la plaine qui parait la plus unie à l'oeil, les eaux creusent souvent des ravines profondes, abri plein de sûreté. Là s'établissent comme des oiseaux de proie, les cavaliers ennemis, prêts à profiter de la moindre négligence. Malgré ce danger des attaques imprévues, les chefs de colonne sont obligés de lancer souvent au loin, sans point d'appui, leur reconnaissance de cavalerie. Il faut à tout prix battre les Arabes, on ne le peut qu'en prenant leurs propres armes, la légèreté et la mobilité. Aux officiers, à qui ces missions importantes sont confiées, de juger le terrain, le danger, l'occasion. Une grande responsabilité pèse sur eux. Avant tout, ils doivent ne point attirer d'embarras sur la colonne, éviter le péril ou lui tenir tête, mais dominer toujours et triompher de la résistance.


Le général Fleury

C'est ce qui arriva dans cette circonstance aux spahis et aux chasseurs de France. Ils avaient tué quelques kabyles et poursuivaient leur marche, lorsque dans un bas fond, au milieu de jardins de figuiers, les eclaireurs apercurent 800 cavaliers environs bien montés, bien équipés, entourant le drapeau du chérif. Charger des forces aussi considérables avec 100 spahis et 60 chevaux de France, lourds, difficiles à manier et montés par des hommes qui n'avaient pas l'habitude de cette guerre, c'eût été commettre une grande imprudence. Il fallait sans hésiter gagner les crêtes, mettre pied à terre et se défendre au fusil jusqu'à l'arrivée de l'infanterie, qu'un passage difficile avait retardé, puis se lancer dès que l'on aurait un bataillon de soutien pour recueillir les blessés, se replier au besoin. Le capitaine Fleury donne sur le champ l'ordre de faire tête de colonne à doite au trot. Les spahis, plus lestes et mieux montés que les chasseurs de france, tiennent l'arrière garde. Cette petite troupe est alors semblable à un vaisseau qui vire de bord, exposé par le flanc aux coups de la lame jusqu'à ce qu'il ait terminé son embardée. Les cavaliers ennemis prennent le galop, rasent les lignes en poussant les hurlements de combat, envoient leurs balles, pénétrant parfois à travers le peloton des tirailleurs. Les plus vigoureux des spahis assuraient ainsi la marche de la troupe. 

Elle parvient à gagner les crêtes rocheuses. Aussitôt, mettant pied à terre comme des sangliers acculés, ils vont tenir ferme jusqu'à l'arrivée des zouaves qui accourrent au bruit de la fusillade. Un grand nombre dans les rangs sont frappés. Une balle traverse la cuisse du capitaine en second Biesse; l'escadron se battait comme se seraient battues de vieilles troupes d'élite, les chasseurs d'Afrique.


Le colonel Biesse

Le capitaine Fleury, droit sur ses étriers, veillait à tout, plaçant des hommes sûrs aux postes les plus dangereux, les entraînant par son sang froid et son ardeur. Le grand cheval bai qu'il montait, un colosse, piaffait sous les balles, car point de mire des Arabes. Comme d'un bond il le lancai pour donner un ordre, un cavalier ennemi plus adroit l'ajustait. La balle, traversant le poitrail, abat le noble animal sur le rocher, et, dans sa chute, la cheville du capitaine Fleury est démise. Mais en pareil moment, le sang court vite et tue la douleur; celui qui commande n'a pas le temps de soufrir. Ali le trompette amène son cheval et le donne à son chef. Les zouaves arrivent au même instant. L'aspect du combat change aussitôt. "En avant ! En avant!" , la sonnerie sonne la charge, les spahis reprennent l'élan et suivent leurs officiers au gros de la mélée. les zouaves les appuient en courant, et les Arabes se dispersent comme des sauterelles chassées par le vent. Quand de nouveau ils se rapprochent pour l'attaque, plus d'un brave cavalier atteint par le sabre faisait défaut. Le lieutenant colonel Canrobert ralliant toute la troupe, reprit la direction de la colonne. Morts et blessés se faisaient contre-poids sur les cacolets, et les chasseurs d'Orléans protégaeint l'arrière garde avec leurs grosses carabines. Un groupe de cavaliers qui se tenait à petite distance reçut une de leurs décharges. Il tourbillona et disparut. Le soir un transfuge apprenait que le Bou Maza lui même avait le bras cassé, et citait le nom des gens de marque atteints par no balles et percés par le sabre des spahis.


Le maréchal Canrobert



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