La cavalerie française repousse la charge du général Bredow
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Le 16/8/1870


Le plan de la charge

 

La charge de la brigade von Bredow a cependant, dans son but principal, réussi contre tout espoir. Une sorte d'ivresse belliqueuse exalte et aveugle les assaillants. Mais le feu de notre infanterie, la longueur de la course (plus de deux mille cinq cents mètres), les chevaux à bout d'haleine, ont mis le désordre dans les escadrons. Les chefs de peloton, dans le tumulte du combat, ne parviennent plus à se faire entendre ni à retenir leurs hommes surexcités. Loin de les arrêter, ils sont entraînés avec eux dans leur course vertigineuse et continuent la charge, en se dirigeant sur la deuxième ligne d'infanterie, qui est restée déployée sur les hauteurs de Rézonville. Mais cette cavalerie allemande sera forcée, après sa brillante charge, de revenir en arrière, et comme elle a négligé le principe éternellement vrai de conserver une réserve, elle va payer cher cet oubli, car voici la fin du combat.

La scène va changer.

La cavalerie de von Bredow s'approche rapidement du sommet de la côte, qui dissimule en partie la cavalerie du général de Forton. Au moment où les Allemands ont commencé leur charge, cette dernière division venait d'exécuter l'ordre qu'avait donné le maréchal Bazaine, de changer le front de sa ligne de bataille, afin d'adosser ses deux brigades au bois de Villers, situé au nord du village de Rézonville, parallèlement à la route de Verdun et lui faisant face. La division de Forton est alors disposée de la manière suivante : à droite, la 1ere brigade (1er et 9e dragons, prince Murat), déployée sur une seule ligne ; à gauche, la 2e brigade (7e et 10e cuirassiers, général de Grammont) sur deux lignes, le 7e cuirassiers en avant.

Nos cavaliers devinent, sans la voir, la charge impétueuse de la brigade von Bredow. Ils entendent la terre trembler sous le galop des chevaux. A leur tour, ils vont prendre leur élan. Ces braves dragons et cuirassiers français sont remplis d'ardeur et brandissent déjà leurs longues lattes avant de recevoir l'ordre de charger. Ils sont solides sur leurs chevaux comme des statues; les yeux luisants, la moustache hérissée, ils demandent à marcher au combat.

En même temps s'avancent sur la gauche de la division de Forton les régiments de chasseurs et de dragons de la division de Valabrègue, dont le 5e chasseurs à cheval forme la gauche un peu en avant des autres régiments.

Soudain à droite de la division de Forton retentit un immense hourra! Une nuée de cavaliers ennemis apparaît sur la crête, prêtant le flanc gauche, à environ quatre cents ou cinq cents mètres de notre ligne de bataille.

Le général de Forton prend rapidement ses dispositions. Les deux régiments de dragons reçoivent l'ordre de charger, les cuirassiers se préparent à les suivre. Le quart des escadrons de cette division est laissé en réserve. Presque aussitôt le général de Forton donne le signal. Les dragons s'élancent au galop par régiment déployé, précédés par le prince Murât, aux cris cent fois répétés de « Chargez! » et tombent dans le flanc gauche des régiments prussiens. C'est le bruit du tonnerre; la terre en tremble.

Le 1er dragons tient la tête de la colonne et arrive le premier sur l'ennemi, avec le double avantage d'être à droite de ceux que l'on attaque et au début d'une charge, au lieu d'en être à la fin.

Avec nos dragons, charge le 1er escadron du 2e chasseurs. Cet escadron, après avoir protégé la retraite de la 5e batterie du 8e d'artillerie, s'est porté à cent mètres en arrière, et en gravissant un repli de terrain, le capitaine-commandant Danloux s'est aperçu, d'une part, que nos pièces sont poursuivies par les cavaliers allemands, et, de l'autre, qu'en face de nos chasseurs, la brigade de dragons du général de Forton s'ébranle pour charger les Prussiens. Le capitaine Danloux commande aussitôt un demi-tour par peloton qui s'opère lentement entre la lisière du bois de Villers et l'aile droite des dragons, avec lesquels cette poignée de chasseurs charge intrépidement. En voyant arriver nos dragons, les cuirassiers de Magdebourg se sont arrêtés, à quarante pas, debout sur leurs étriers, et le sabre haut. Sans ralentir leur allure, nos braves cavaliers traversent les Allemands, qui ouvrent leurs rangs, puis se jettent sur les uhlans. Nos escadrons ayant chargé de biais, les deux têtes de colonnes françaises et prussiennes, avant de se traverser, galopent pendant un moment, pour ainsi dire côte à côte.


Capitaine Danloux - 2e Chasseurs

Enfin le choc se produit. Les dragons du 1er régiment, suivis par ceux du 9e et les quelques chasseurs du 2e pénètrent comme un coin dans les escadrons allemands et se mettent aussitôt à pointer dans le tas. La tête de colonne prussienne, abordée en tête et en flanc avec impétuosité, est complètement écrasée. On s'étreint corps à corps. Il y a des duels sans nombre et à mort. Aux grands coups de taille des sabres prussiens, nos dragons répondent par des estocades (coups de pointe), qui tuent presque toujours leur homme. Lutte homérique et glorieuse qui démontra encore une fois de plus tout ce qu'on pouvait espérer de notre brave armée.

Le 1er régiment de dragons, bien enlevé par le colonel de Forceville et ses officiers, prend une brillante revanche de sa débandade du matin et montre de l'élan et de la bravoure dans cette chaude rencontre. Là sont blessés : le capitaine-commandant Pariset (trois coups de sabre sur la tête); le lieutenant en premier Daguet (coup de sabre au visage); les sous-lieutenants de Laforcade (coup de sabre à la tête), de Parage (coup de sabre à la nuque ayant profondément entaillé le cou), et Bellenguez. Porte étendard. Parmi les cavaliers, il faut citer les dragons Oberlé (tué), Sehwangre, Boisson, Mouyaux, le brigadier Schmaltz, le maréchal des logis Weinmann, depuis officier, le maréchal des logis-chef Deglaire, mort des suites de ses blessures et n'ayant pu recevoir son épaulette glorieusement conquise.

Colonel de Forceville

Lieutenant Daguet

Lieutenant du Parage

 

Le 9e dragons se fait également remarquer et admirer par son élan et son courage, sous l'habile direction du colonel Reboul. Le lieutenant-colonel de la Loyère a son cheval blessé sous lui et en reprend immédiatement un autre, sans quitter le terrain. Le chef d'escadrons Laviarde ayant eu, lui aussi, son cheval tué, continue la charge sur une nouvelle monture. Le capitaine Metten, les sous-lieutenants Gauthier et de Biré, le maréchal des logis Maréchal ont leurs chevaux tués sous eux. Le sous-lieutenant Thiercy a le cou traversé d'un coup de lance; un coup de sabre blesse de la même manière le maréchal des logis Vorlain. Dans cette même journée, le lieutenant Liébich est atteint au côté gauche de la mâchoire par un éclat d'obus. Le dragon Moretti, qui n'a pas de cheval, est médaillé pour avoir combattu dans les rangs d'un bataillon de chasseurs à pied. Le dragon Briand est médaillé pour avoir ramené un canon dont les conducteurs et les servants ont été tués ou blessés par les cavaliers allemands. Le dragon Douennelle, qui reçoit cinq coups de lance en concourant énergiquement à la défense de ce même canon, est lui aussi décoré de la médaille militaire.
Un autre dragon du 9e, dont le nom nous échappe, se trouve tout à coup au milieu de la mêlée aux prises avec un groupe de uhlans. Reculer n'est pas possible, et les lances portent plus loin que sa redoutable latte. Ce vaillant soldat semble soulever son grand cheval dans ses jambes musculeuses; celui-ci se cabre, et tandis que sa main gauche maintient le noble animal, qui en un instant est criblé de coups de lance, de sa droite il met successivement quatre Prussiens hors de combat. Puis nos dragons arrivent, et tout le groupe de uhlans qui entoure cet intrépide soldat est détruit et foulé aux pieds.
Les pertes du  9e dragons, qui dans cette journée du 16 août, est resté constamment exposé au feu de l'ennemi, sont heureusement assez minimes. Deux officiers blessés, quarante-trois hommes morts, blessés ou disparus; vingt-deux chevaux tués ou blessés.


Commandant Laviarde

La poignée de chasseurs du 2e régiment s'est également admirablement conduite, et à elle seule a mis hors de combat une vingtaine de cavaliers prussiens. Dans cette charge se sont distingués au 2e chasseurs : les sous-lieutenants Granier et Sieur, le maréchal des logis-chef Schneider, les chasseurs Weill, Racouët, Bûchez. Ce dernier, bien que blessé à la main gauche par un éclat d'obus, a néanmoins chargé la bride aux dents.

Cette échauffourée de cavalerie entre nos dragons et les Allemands de von Bredow a duré à peine de six à huit minutes, et, quand la poussière est dissipée, on reconnaît que la brigade Murât n'a plus personne devant elle.

Le choc violent des dragons de Murat a séparé la colonne de cavalerie allemande en deux tronçons. La tète, poursuivie par nos dragons, vient se heurter contre la cavalerie du 2e corps et est à peu près anéantie. La queue, composée surtout de cuirassiers, essaye de regagner au galop sa ligne de retraite, défilant alors devant la. brigade de cuirassiers que le général de Forton a tenue en réserve. Le général von Bredow fait sonner le ralliement. Déjà mise hors d'haleine par cette longue course, décimée par le feu, sans réserve sur les derrières et entourée de tous côtés par la cavalerie adverse, il s'agit maintenant, pour la brigade prussienne, de s'ouvrir un chemin pour la retraite.

Le 7e et le 10° cuirassiers de la brigade de Grammont semblent, pendant ce combat, se trouver sur des charbons ardents. Leur ardeur les pousse en avant; la discipline les retient à leur place de bataille.

Enfin, le général de Forton prononce le commandement si attendu : « Attention, les cuirassiers ! Partez ! » Comme ce signal ne prescrit aucune formation, le 7e cuirassiers part à un train désordonné, les officiers étant forcés de donner toute leur vitesse pour rester en tête de leurs cavaliers, qui courent à bride abattue. Un formidable hourra se fait entendre. Les Allemands, vivement pressés, cherchent à reprendre la route par où ils ont débouché. Ils y arriveraient peut-être, mais à ce moment même, et tandis que le 7e cuirassiers les charge avec furie, le 1er escadron du 10e cuirassiers reçoit l'ordre de culbuter le flanc de l'ennemi, tandis que les trois autres escadrons de ce régiment restent en réserve.

Conduit par son bouillant lieutenant-colonel Pobéguin, cet escadron charge avec un entrain magnifique, et tombe comme la foudre au milieu des escadrons prussiens, dont les chevaux sont si essoufflés par la longue distance parcourue au galop, qu'ils sont à bout de forces. Le lieutenant-colonel Pobéguin est à la tête de ses cuirassiers. Il porte les premiers coups aux Allemands et tue de sa main un officier et trois cavaliers allemands. Ses soldats l'accompagnent et disparaissent dans cette épouvantable mêlée. Le choc de nos cuirassiers est décisif : les cuirassiers blancs, en désordre, abordés avec une vigueur inouïe, sont sabrés de la tête aux pieds.


La charge des cuirassiers - Aimé Morot (1886 - musée d'Orsay)

Leurs chevaux, haletants et blancs d'écume, refusent tout service. Le plus grand nombre de ces Allemands tombent sur le champ de bataille. Ceux qui jusqu'à ce moment ont échappé à la mort continuent leur marche au galop, résolus qu'ils sont à traverser les lignes françaises. Mais à leur retour nos cuirassiers se sont élancés à la charge et refoulent ces malheureux Allemands dans le vallon que ceux-ci viennent de traverser et où ils les détruisent presque entièrement.
Dans cette action, le général comte de Grammont, commandant la brigade de cuirassiers, est blessé à la jambe par un éclat d'obus qui lui déchire sa botte et lui fait une contusion assez forte pour l'empêcher de rester à cheval.  On doit le transporter à l'ambulance ; mais, après vingt-quatre heures de traitement, le général voulut reprendre son service.


Colonel de Grammont

L'ouragan déchaîné par nos cuirassiers trompe le dernier espoir de l'ennemi. Tout plie devant le 7e cuirassiers et le 1er escadron du 10e.

Ce fût là un brillant combat de cavalerie où le lieutenant-colonel Pobéguin, qui, comme on l'a vu, a déjà dans la matinée formé le 10e cuirassiers en bataille sous le feu de l'ennemi, pendant que le colonel prenait les ordres du général, montra la plus extrême énergie. Citons aussi le capitaine de Lascous, commandant le 1er escadron, qui est blessé, le lieutenant d'état-major Tribaudet de Maimbray, qui montre le plus grand entrain pendant la charge. Cet officier était entré avec le n° 1 à Saint-Cyr et était le plus grand de sa promotion (deux mètres de taille). Citons encore le sous-lieutenant Labarth, les maréchaux des logis Serciron et Jolibois.

Dans cette journée, le 10e cuirassiers a le maréchal des logis Juvanon mortellement blessé, deux hommes tués, le capitaine de Lascous, le maréchal des logis Bagard, les cuirassiers Michelet, Senot, Bourgogne, Baziard, Aloin et Sarrail, blessés; les cuirassiers Doizon et Humbert disparus.

Capitaine de Lascous
Blessé d'un coup de lance au visage et d'un coup de sabre au bras gauche

Lieutenant Tribaudet de Maimbray
Etat major
Général sous la République

De son côté, le 7e cuirassiers éprouve les pertes suivantes : le sous-lieutenant Motte, grièvement blessé; les capitaines Vignal, Prévost et de Guibert, contusionnés; un cavalier tué; deux sous-officiers et quatorze cavaliers blessés ; deux brigadiers et un cavalier disparus ; trente chevaux tués ou disparus.

Dans cette seconde affaire, le nombre de tués et de blessés pour notre brigade de cuirassiers est relativement faible, ce qu'il faut attribuer à ce que les cavaliers prussiens se servaient exclusivement du tranchant de leur pallasch, tandis que les nôtres n'employaient que l'estoc, et le coup de pointe français, terrible et sûr, jaillissait comme un éclair et allait foudroyer le cavalier ennemi sur sa selle. 11 faut ajouter aussi que les chevaux de la cavalerie ennemie, en arrivant devant nos cuirassiers étaient, on s'en souvient, déjà exténués par un parcours de deux mille cinq cents mètres à plein galop, tandis que les montures de nos cuirassiers étaient parfaitement reposées.

 

Cependant le second tronçon de la brigade von Bredow, composé principalement de uhlans du l0e régiment, s'est également mis en retraite au moment du choc des dragons de Murât. La tête de la colonne allemande a été écrasée, les uhlans de la première ligne ont été bousculés et rejetés sur leurs camarades, qu'ils mettent dans un désordre effroyable. Tout ce monde fait demi-tour, toujours poursuivi par nos infatigables dragons; c'est une cohue indescriptible, sur des chevaux essoufflés de uhlans, de cuirassiers blancs ou bleus, de dragons, de chasseurs, de fantassins isolés, chacun taillant, pointant, tirant au travers de pièces d'artillerie renversées ou debout d'affûts, d'avant-trains, etc.,..sur tout le parcours suivi précédemment , sous le feu des groupes d'infanterie ralliés et sous une grêle d'obus.

En même temps que la division de Forton enveloppe la brigade von Bredow sur son flanc gauche, le 5e chasseurs, conduit par le colonel Gombaud de Séréville, ancien lieutenant colonel du 1er hussards, attaque le flanc droit de la cavalerie ennemie et se trouve tout à coup en présence du 16e uhlans, que les dragons de Murat ont vigoureusement ramené. A la vue de la cavalerie prussienne, le colonel de Séréville porte son régiment en avant, au galop. Les uhlans, surpris en apercevant les dolmans verts à tresses noires de nos chasseurs, se disposent à jeter leurs lances à terre, pour prendre leurs sabres en main, et veulent se ranger en bataille pour les attaquer. Le colonel de Séréville ne leur en laisse pas le temps et enlève vivement son régiment à la charge. A peine le mot : « Chargez ! » est-il prononcé que l'on voit le 5e chasseurs à cheval tomber comme le vent sur l'ennemi et hacher tout ce qu'il trouve devant lui. On voit ces bouillants cavaliers pousser leurs chevaux dans le flanc droit du 16e uhlans engageant immédiatement un combat individuel corps à corps et mettant les cavaliers d'Altmark dans l'impossibilité de manier leurs lances.


Colonel de Séréville

Le lieutenant-colonel d'Agoult est blessé de deux coups de lance. Le commandant de Labrousse a son cheval blessé. Tous nos officiers qui tiennent la tête de l'attaque sont admirables de bravoure. Le lieutenant Dupré tue de sa main deux uhlans. Le lieutenant Claverie est grièvement blessé. Le sous-lieutenant Hounau abat à coups de pointe deux autres uhlans et un officier qui visait le chef d'escadrons de Labrousse. Le sous-lieutenant Micard frappe mortellement, après une lutte acharnée, un officier de cuirassiers blancs. Le sous-lieutenant Giraudon tue deux uhlans et fait prisonnier un officier supérieur. Le maréchal des logis Gronnier, par son énergie, sauve la vie à son officier de peloton, le sous-lieutenant Ducasse, qui, blessé et renversé de cheval est assailli par plusieurs uhlans. Le maréchal des logis Marchai dégage le lieutenant-colonel d'Agoult, blessé et entouré de uhlans. Le maréchal des logis Kuntz a son cheval blessé de deux coups de feu, reçoit lui-même un coup de sabre et ramène deux prisonniers. Les brigadiers Schmetzer et Schmetz tous deux blessés. Le chasseur Fontanau se conduit dans la charge de la manière la plus brillante. Le chasseur Doudanne fait un officier prisonnier.
Citons aussi : les lieutenants Despierre, Alizard, Dieterlen; les sous-lieutenants Verdel et Seegmuller; le porte-étendard Robert ; les adjudants sous-officiers Vachin et Domengo ; les maréchaux des logis Vincent, Bonet de Chaboulon, Feste, Schmidt; les brigadiers Schmeltz, Chérot, Jolé; les chasseurs Petit-Guenot, Gaillot, Mansion et Wettling.
Le 5e chasseurs perd dans cette charge un jeune officier, le sous-lieutenant de Nyvenheim, tué raide d'un coup de lance qui l'a percé de part en part et dont le frère, officier aux lanciers de la garde, est frappé mortellement quelques heures plus tard. Sept officiers sont blessés : le lieutenant-colonel d'Agoult; le capitaine Drivon; le lieutenant Claverie; les sous-lieutenants Guittet, Gillain, Ducasse et Verdel. Trente-quatre hommes sont blessés, dont onze transportés aux ambulances. On perd aussi douze chevaux tués et vingt-deux disparus. Cette mêlée commence à peine qu'un groupe nombreux de cuirassiers blancs du régiment de Magdebourg échappé par hasard aux sabres des cuirassiers et des dragons du général de Forton, apparaît sur la droite du 5e chasseurs, après avoir fait le tour du bois de Villers, afin de dégager les uhlans.

Capitaine Drivon

Sous Lieutenant Hounau

Chef d'escadrons de Labrousse
un cheval tué sous lui
Promu Lieuenant Colonel au 7e Dragons

Le colonel de Séréville, voyant ce nouvel ennemi, craint d'engager son régiment trop loin et fait sonner le ralliement afin de faire face aux cuirassiers; mais quelques-uns seulement de ces derniers viennent se mêler aux uhlans; le plus grand nombre se jettent sur la brigade de dragons du général Bachelier (division de Valabrègue), et dans un élan furieux et désespéré traversent le 7e dragons. Le sous-lieutenant Grivel de ce régiment et huit hommes de troupe sont blessés; le sous-lieutenant porte-étendard Couppery est contusionné et le sous-lieutenant d'Auberjon a son cheval tué sous lui. Le lieutenant-colonel du 7e dragons, l'intrépide Michel Ney, à peine âgé de trente-sept années et qui a obtenu tous ses grades à la pointe du sabre, tue de sa propre main, et à l'arme blanche, trois cuirassiers de Magdebourg; un quatrième échappe pour l'instant à la terrible lama de ce jeune officier supérieur en donnant lui-même à ce dernier un coup de sabre, qui lui fait, par bonheur, une profonde, mais peu dangereuse balafre au visage.

Une fois le 7e dragons traversé, les cuirassiers blancs, qui ont obliqué à droite pour échapper aux sabres des cuirassiers et des dragons de Forton, viennent heurter le 12e dragons, qui les reçoit sans reculer d'un seul pas. Entraînés par le colonel d'Avocourt, nos cavaliers refoulent l'ennemi et achèvent de le sabrer.

Le 4e chasseurs, qui se trouve un peu en arrière, n'a pas à intervenir dans cette lutte suprême.

Citons, parmi les braves combattants du 12e dragons, le chef d'escadrons Jacques; le médecin-major Roques; les capitaines de Séréville et du Lou; les lieutenants de Nabat, de Butler, Delafont, Maugain, Meyran, Bruny, Sacquet; les sous-lieutenants de Gapany, des Radrets, Guillaumin, Valladon, Serve, Renard, Dubreuil et Broutal; les adjudants Pavard, de Fornel et Langevin ; les maréchaux des logis-chefs Louvenard et Breillot; les maréchaux des logis Tilloy, Courcy, Génestel, Texier et Hurault; les brigadiers Rassant, Gatimel, Joly, Morel, Messin et Roussel; le trompette Aulzemberger; les dragons Rendu, Martin, Lequeret, Daubresse, Coïe, Nam, Antoine, Mugler et Royer.

Lieutenant Serve

Lieutenant Broutal

Dans cette journée, le 12e dragons a seulement un cavalier frappé mortellement d'un coup de sabre, le lieutenant de Pins blessé d'un coup de lance à la joue, le brigadier Messin, aussi atteint d'un coup de lance et le dragon Brin d'un coup de sabre. Ces trois derniers ne voulurent pas entrer à l'ambulance et continuèrent à marcher avec leur régiment.

 

Repoussés par les dragons de Bachelier, les débris de la brigade von Bredow cherchent à se replier par une autre direction. Mais alors accourent de tous côtés les cavaliers de la division de Valabrègue, qui, se joignant à ceux du général de Forton, se précipitent sur l'ennemi; le tourbillon se mêle confus et le combat se livre avec fureur de part et d'autre. Cavaliers et chevaux s'agitent sur un terrain de quelques cents mètres d'étendue dans une épouvantable mêlée. Ceux-ci, la crinière hérissée, prennent part à cette bataille de géants, tellement leur ardeur est grande. L'acharnement des nôtres est si grand, chacun est tellement lié à son adversaire, que, malgré la sonnerie du ralliement, le massacre continue toujours.

Ces malheureux cuirassiers blancs et uhlans bleu-clair galopent de droite et de gauche, cherchent une issue introuvable et tombent bientôt sous les coups de revolver ou embrochés par des lattes furieusement maniées. Un dragon porte un si violent coup de pointe qu'il s'en démet l'épaule. Un autre cherche en vain à retirer son sabre enfoncé jusqu'à la garde dans la poitrine d'un officier ennemi. Un jeune sous-lieutenant tout imberbe, sortant à peine de SaintCyr, entouré d'un groupe de cavaliers ennemis, en abat six de son revolver. Mouche à tout coup ! Des cuirassiers de Magdebourg veulent rendre leur sabre. "Paddon, mossié! Paddon, camerad! » disent-ils avec leur accent tudesque. Un coup de pointe est la réponse. Un jeune officier du 16e uhlans, tout pâle et tout blond, est entouré par trois cavaliers. Il a décroché son ceinturon d'argent et leur tend un sabre damasquiné : « Ton sabre? Et que veux tu qu'on en fasse? » lui dit-on, et il tombe la tête fracassée. On ne s'arrête de tuer que quand il n'en reste plus un seul debout.

En peu d'instants, la brigade von Bredow est entièrement anéantie et le terrain couvert de cadavres des uhlans et des cuirassiers.

Le colonel du 16e uhlans est fait prisonnier. Celui du 7e cuirassiers, qui a vu tomber autour de lui ses meilleurs officiers, ordonne à son trompette d'ordonnance de sonner le ralliement afin de grouper, autour de lui, les quelques hommes de son régiment pour se faire jour, mais l'instrument rend un son plaintif et lugubre à peine perceptible, et l'on constate que le pavillon de la trompette a été crevé par deux balles. Grâce au dévouement de quatre sous-officiers et de deux cavaliers, l'étendard du 16e uhlans peut être sauvé.

Cette lutte terrible, suprême, n'est pas longue. Les mieux montés des cavaliers allemands en réchappent seuls, ainsi que les prisonniers. Une soixantaine de uhlans et autant de cuirassiers blancs parviennent à peine à sortir de la fournaise ; et dans leur fuite vertigineuse plusieurs d'entre eux sont encore couchés sur le dos par les feux de notre infanterie qui les ramasse au passage. Puis on n'entend plus rien que les hennissements des chevaux qui ont échappé à cet affreux massacre et on aperçoit dans le lointain les grandes lances des uhlans rejettes en arrière, qui ressemblent à des épis fouettés par le vent.

Cette charge légendaire de la cavalerie des généraux de Forton et de Valabrègue contre les cuirassiers blancs et les uhlans de von Bredow avait en tout à peine duré de vingt à vingt-cinq minutes.

Au milieu de cette charge, le 2e chasseurs à cheval, qui se promenait en tous sens dans la plaine entre Rézonville et le château de Villers, avait mis le sabre à la main et s'était porté en avant pour soutenir la division de Forton. Vers deux heures, la quantité de projectiles lancés sur Rézonville avait obligé ce régiment à se reporter en arrière du village à côté du régiment des carabiniers de la garde, et ensuite à çinq cents mètres sur la droite, dans la direction du château de Villers, s'appuyant à la Voie romaine. Le régiment, placé en bataille à l'angle de ce bois, reçoit vers une heure quelques obus. L'un de ces projectiles renverse le chef d'escadrons d'Aure.


Commandant d'Aure

Ce régiment, après s'être élancé à l'aide de la division de Forton, se retire presque aussitôt, en voyant revenir des blessés de toutes armes, ainsi que des détachements de prisonniers allemands.

La charge est terminée.

Au retour du combat, nos braves cavaliers, chasseurs, dragons, cuirassiers, encore entraînés par la chaleur de la lutte saluent leur victoire aux cris de : « Vive l'empereur ! Vive la France ! ». Chacun revient avec sa capture : celui-là tient en main un magnifique cheval, celui-ci porte en bandoulière des baudriers et des ceintures d'argent; l'un a remplacé son casque à longue crinière par un schapska de uhlan, l'autre s'est couvert d'une longue capote noire et coiffé du casque d'acier à pointe de cuivre d'un cuirassier blanc, et tous de pousser de formidables hourras pendant plus d'un quart d'heure. On visite les fontes des chevaux ennemis. Dans celles d'un cheval d'officier on trouve des flacons de senteur, des peignes d'écaillé, des brosses marquées d'un chiffre armorié; dans d'autres, des cartes fort belles, avec les différentes étapes jusqu'à Paris pointées avec soin. Chacun charge son cheval d'un véritable faisceau d'armes. Les bidons ennemis en verre épais recouvert de cuir, sont consciencieusement vidés, malgré la mauvaise qualité du schnaps qu'ils contiennent.

Là où l'on s'est entre-tué, s'est formée une véritable montagne de cadavres de uhlans à parements bleu clair, et de cuirassiers de Maglebourg, véritables géants, en habits jaunâtres, en cuirasses souillées et brisées. Hommes et chevaux sont entassés et baignent littéralement dans de larges mares de sang. Un grand cuirassier blanc est littéralement cloué en terre. Le visage est tourné vers le ciel, tandis que le reste du corps, contourné par la souffrance, s'est enfoncé dans le sol, en sens contraire. Un autre a sa cuirasse incrustée dans sa poitrine; il tire démesurément la langue, la colonne vertébrale est brisée. Un dragon à épaulettes rouges a les jambes tordues ; un uhlan a la tête fracassée. Le visage n'est plus qu'un amas de cervelle et de sang coagulés. Une main couverte de bagues de prix est là à terre, se détachant pâle et blanche sur l'herbe verte maculée de sang. Un homme est littéralement aplati sous les cadavres de trois chevaux. ses yeux sont sortis de l'orbite, retenus par un dernier filament. Ici, un cheval est renversé sur le côté, la tête percée d'une balle à la tempe. Son cavalier est encore en selle, la jambe prise sous l'animal ; il appuie sa tête sur son bras ployé dans la position d'un homme qui se repose sur le gazon. C'est un sous-officier de cuirassiers blancs, reconnaissable à son collet jaune orné d'un galon d'argent. Il tourne le dos à. des dragons français qui parcourent le champ de bataille ; ceux-ci l'appellent: « Hé! l'ami! ». Ni réponse, ni mouvement, ils tournent autour; ce sous-officier n'a plus de visage : il est mort.
Le long d'un mur, un jeune officier du 16° uhlans est étendu, la tête renversée en arrière et fendue d'un coup de sabre; l'épaule droite est fracassée et inonde de sang le drap fin de sa tunique bleu foncé. Le plastron bleu clair entr'ouvert laisse passer un pli de baptiste que maculent de larges taches noirâtres. La main gauche, recouverte d'un gant paille coquettement ajusté et soigneusement boutonné, est coupée de biais, ainsi que la manchette, très empesée et ornée d'un bouton de prix. Une jambe s'écarte démesurément de l'autre ; la cuisse étranglée dans un pantalon extra-collant en drap gris bleu foncé est brisée au-dessous de la hanche, et le sang qui coule de la blessure inonde la botte, qui est vernie, élégante et chausse un pied aristocratique et cambré. Une souffrance atroce est peinte sur les traits de vingt ans de ce pauvre garçon. Un lieutenant de chasseurs de France met pied à terre et s'approche de lui. Les yeux du blessé suivent tous les mouvements du Français. Celui-ci lui parle. : pas de réponse. Sous sa tête, garnie de cheveux blonds fins, soyeux et pommadés comme pour le bal, l'officier français place un sac d'infanterie qui traîne par là, un manteau roulé, et lui tend sa gourde ouverte, l'invitant à boire. D'un mouvement nerveux, le Prussien relève le bras gauche et du coude envoie la gourde rouler à quelques pas, en lançant au lieutenant de chasseurs un regard de haine atroce.
Un autre fait prouvera également l'énergie sauvage de nos ennemis. Un officier, appartenant lui aussi au 16e régiment de uhlans, est fait prisonnier et conduit loin du champ de bataille. L'air insolent, il nargue les soldats qui le conduisent. Lorsqu'on veut le désarmer, il lutte contre ceux qui le tiennent. Écumant, couvert de poussière et de sang, sans défense possible, il refuse de se laisser enlever son sabre. On est obligé d'employer la force pour arriver à le désarmer. Parfois une balle siffle par les jambes de nos soldats, bien après la fin de la lutte. C'est un blessé allemand qui s'est relevé à moitié et leur envoie sa dernière cartouche. Un coup de pistolet ou de carabine dans l'oreille en fait justice.

Dans ce brillant combat de cavalerie, les cuirassiers et les uhlans prussiens furent brisés, émiettés, détruits. Leurs débris, le lendemain, formaient à peine un escadron. Des cuirassiers blancs de Magdebourg, sept officiers et soixante dix hommes seulement échappèrent au sabre et au feu. Sept officiers, cent quatre-vingt-neuf hommes et deux cent neuf chevaux étaient hors de combat. Des trois escadrons du 16e uhlans, il ne revint que six officiers et quatre-vingts hommes. Neuf officiers, cent soixante-quatorze hommes et deux cents chevaux étaient restés sur le terrain. Ainsi donc, en quelques minutes, les six escadrons de la brigade von Bredow avaient perdu sur un effectif de huit cents cavaliers : seize officiers, trois cent soixante-trois hommes et quatre cent neuf chevaux, c'est-à-dire la moitié de l'effectif.

Chose étrange, qui ne s'explique que par la manière de combattre des uns et des autres, la division du général Forton ne perdit que douze hommes tués et quatre-vingt-huit hommes mis hors de combat. La division de Valabrègue ne comptait qu'un officier tué et quarante-trois officiers et soldats blessés. Nos cavaliers, en effet, ne sabrant pas, mais pointant toujours, trouvaient un passage aux entournures des cuirasses et aux couvre-nuques des casques. Ayant eu soin de s'enrouler leur mouchoir autour du poignet, ce qui augmente la vigueur et prévient la lassitude, ils maniaient avec une rapidité vertigineuse leurs longues lattes qui s'enfonçaient dans la gorge ou dans la poitrine des Prussiens : ceux-ci ne s'en relevaient jamais. Les cavaliers allemands, au contraire, se servant du tranchant de leurs sabres pesants et du pistolet, blessaient les chevaux, mais peu les hommes, qui, protégés par les casques et les cuirasses, ne recevaient que des blessures presque toutes legères. La figure et les bras étaient seuls atteints. En revanche, nos soldats d'infanterie, dans toutes les luttes qu'ils eurent à soutenir contre la cavalerie, furent constamment frappés à la tète. Leur absurde képi, ne les garantissant en aucune façon .contre les coups de taille de l'ennemi, fut cause que notre armée éprouva des pertes bien plus sensibles que si nos fantassins avaient eu une coiffure militaire raisonnée et utile, destinée surtout à amortir les coups de tête et les coups de figure.

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