Le 2e bataillon des chasseurs à pied dans la campagne de Chine (1860)

Les sous officiers du bataillon après la campagne

Texte tiré de l'ouvrage Le 2e bataillon de chasseurs à pied - Lt Delagrange - Paris 1889

Annonce et préparation de l'expédition

Le 2e bataillon eut l'honneur d'être désigné pour faire partie de l'expédition. Il fut placé à la 1re brigade. Son effectif fut porté à 876 hommes; tous les malingres furent soigneusement éliminés. Les hommes reçurent un équipement spécial et un approvisionnement de 400 cartouches; les cadres furent enrichis de 8 nouveaux sous-lieutenants de l'arme qui complétèrent chaque compagnie à 4 officiers. Les nouveaux venus furent MM. de France, du 1e bataillon; de Boissieu, du 3e; Martre, Pierre, de Bellune, du 9e; Bourguignon, du 11e; Ambroise et Gallimard, du 12e. Pendant que les autres corps s'embarquaient à Toulon, le bataillon reçut l'ordre de se rendre à Brest où il devait prendre passage sur le transport le Rhône. Le départ de Paris eut lieu le 22 novembre 1859.

Le 29, le bataillon faisait étape à Carhaix, patrie de La Tour d'Auvergne, lorsqu'il reçut l'ordre suivant :
"Sous l'égide de Napoléon III et de la France, vous êtes appelés à entreprendre une expédition lointaine et glorieuse. Votre mission ne sera pas d'ajouter une nouvelle conquête à toutes celles qui ont illustré la France; vous allez montrer, par une discipline sévère, à des populations nombreuses, que vous n'êtes pas les barbares qu'elles pensent, comme vous leur prouverez, par votre ardeur belliqueuse, la supériorité de votre courage. Pour la seconde fois notre drapeau s'unira au drapeau anglais. Cette union sera un gage de victoire, comme celle des deux peuples est un gage de paix pour le monde entier. Votre tâche est grande et belle à remplir, mais le succès est assuré par votre dévouement à l'Empereur et à la France. Un jour, en rentrant dans la mère-patrie, vous direz avec orgueil à vos concitoyens que vous avez porté le drapeau national dans des contrées où la Rome immortelle, au temps de sa grandeur, n'a jamais songé à faire pénétrer ses légions. S. M., en ne confiant l'honneur de vous commander, me fait une haute faveur, dont je ne pourrai pas mieux lui témoigner ma reconnaissance qu'en m'occupant de pourvoir à tous vos besoins avec une sollicitude constante. Vienne le jour du combat et vous pouvez compter sur moi, comme je compte sur vous; nous assurerons la victoire au cri de: Vive l'Empereur, vive la France ! Au quartier général, à Paris, le 19 novembre 1859. Le Général commandant en chef,
DE MONTAUBAN.
"

Général Cousin de Montauban
Commandant en chef de l'expédition

Le commandant fit rassembler le bataillon en armes autour de la statue du 1er grenadier de France, et lui lut à haute voix ces nobles paroles. La population entière se joignit aux chasseurs pour y répondre par les cris mille fois répétés de : Vive l'Empereur! Trois jours après, nous arrivions à Brest, où nous restâmes jusqu'au 14 décembre. Les troupes du corps expéditionnaire devaient se rendre en Chine par le cap de Bonne-Espérance. Le général en chef et l'état-major prirent les devants par l'isthme de Suez afin d'aller préparer sur place les voies à l'expédition, assurer le ravitaillement des hommes, la remonte de l'artillerie, l'organisation des coolies, désigner les camps, les hôpitaux, etc. Le bataillon fut embarqué sur le Rhône, le 14 décembre, à 8 heures du matin; il comptait 37 officiers et 868 sous officiers et chasseurs.

La traversée

Le bâtiment mouilla en rade de Santa-Cruz, à Ténériffe, le 27 décembre; le 1er janvier 1860, il passa le tropique du Cancer, et, le 12, le bataillon reçut le baptême de la ligne.
Jusqu'à l'Équateur l'état moral et sanitaire du bataillon fut excellent; il devait en être toujours de même pour l'entrain et le courage; mais, du 14 janvier au 29 février, en traversant les calmes du " Pot au Noir ", sous l'influence des chaleurs intertropicales, les fièvres typhoïdes se déclarèrent et frappèrent cruellement dans les rangs.
Nos pauvres chasseurs subirent les lois du bord: 6 d'entre eux, Péchet, Barbachoux, Lorreyte, Dupuy, Remilly et Roucamp furent ensevelis dans les flots, entre le 2e et le 27° degré de latitude australe. Le Rhône arriva le 9 février en rade de Table-bay, en face de la ville du Cap. Une partie de l'escadre de Chine (vice-amiral Charner) y était déjà mouillée. Notre transport fut obligé de rester sur place jusqu'au 25 février pour attendre son tour d'approvisionnement en eau, charbon et vivres de toute nature.
Le commandant voulut profiter de ce séjour forcé pour envoyer ses hommes à terre et leur faire exécuter quelques promenades militaires, excellente mesure d'hygiène dont il espérait les meilleurs résultats.

12 février. - Le dimanche, 12 février, le chaland du bord transportait à terre les 1re et 3e compagnies; les chasseurs débarquèrent sans accident; ils firent une bonne promenade sous une voûte d'arbres touffus, qui les protégeaient contre la grande chaleur du jour. Au retour, la montagne de la Table s'était couverte d'une grande nappe de nuages blancs, indice infaillible d'une tourmente.
A peine les chasseurs étaient-ils à 500 mètres de la côte que le chaland, violemment maltraité par les lames, commença à embarquer de forts paquets d'eau. La situation était périlleuse. Il était aussi impossible de regagner la côte que de rejoindre le transport mouillé à plus de 1,500 mètres. L'inquiétude se mit parmi les hommes. Un grand nombre d'entre eux commençaient à se déshabiller pour se jeter à la mer, où les meilleurs nageurs se seraient infailliblement noyés. Heureusement, sur le chaland même, se trouvait un jeune et brave officier, M. le sous-lieutenant de Montille, dont l'énergique intervention les détourna d'un projet insensé et d'un exemple funeste. L'embarcation qui remorquait le chaland ne pouvait plus lutter contre les flots; l'une et l'autre s'en allaient à la dérive. Déjà on avait côtoyé plusieurs bâtiments, mais les matelots n'avaient pu saisir les amarres qu'on leur lançait; l'un d'eux put enfin s'accrocher à une corde jetée par un navire anglais, le Springs-Brooks. Les hommes étaient sauvés; le Springs-Brooks les recueillit à son bord et ils y passèrent la nuit.

Sous Lieutenant Bizouard de Montille

Malgré ce sauvetage providentiel, le commandant de la Poterie qui avait vu 200 de ses chasseurs sur le point de périr dans les flots, renonça à tenter de nouveau une aussi dangereuse expérience. Les trois quarts de nos hommes ne touchèrent donc pas la terre ferme pendant les cinq longs mois que dura la traversée.
20 chasseurs furent laissés au Cap pour raison de santé ; 8 entrèrent à l'hôpital et 12 furent mis en subsistance au 59 régiment anglais. L'un d'entre eux, Mazet, mourut à l'hôpital 3 jours après le départ du Rhône.
Le bâtiment mit 52 jours à faire le trajet du Cap à Singapour; nous ne perdîmes qu'un seul homme en route, le chasseur Thouviot, mort de la fièvre typhoïde. Les chasseurs, réduits aux vivres salés du bord et exposés à des chaleurs effroyables, n'en conservèrent pas moins leur belle humeur et leur santé.
2-19 mai. Le 2 mai, le Rhône relâchait à Hong-Kong, il mouillait le 19 devant Woosung après 5 mois et 2 jours de traversée. Le lendemain, le chasseur Marchoteau mourut. On l'enterra sur la côte; ce fut le premier de nos hommes inhumés en Chine.
Depuis la fin du mois de mars, le général en chef était arrivé à Shanghai. Une déclaration avait été envoyée à l'Empereur de Chine au nom des deux puissances. On l'invitait à se prononcer catégoriquement sur le traité de 1858. En attendant la réponse à cet ultimatum, les amiraux français et anglais avaient proposé de prendre immédiatement l'île de Chusang comme base des opérations militaires. Le général de Montauban refusa nettement d'accéder à cette combinaison qui constituait un véritable acte d'hostilité avant la déclaration de guerre. Il préféra choisir, comme point de débarquement éventuel, la rade de Woosung. Les troupes pourraient ainsi s'installer dans les concessions européennes de Shang-Haï et s'y reposer jusqu'au début des opérations.
Sur ces entrefaites, le Fils du Ciel fit savoir qu'il repoussait l'ultimatum. La guerre était déclarée.

Expédition de Chu-Sang (14/4/1860)

Le premier acte d'hostilité fut l'expédition de Chusang. L'ile fut occupée sans coup férir par les troupes de la marine; le colonel Martin des Pallières en reçut le commandement supérieur.
Mais, si le général avait cédé aux instances de l'Angleterre et de l'amiral Charner en occupant Chusang, il n'en considérait pas moins cette île comme une base d'opérations insuffisante. Aussi, tout en conservant Chusang comme un utile soutien en arrière, décida-t-il que toutes nos troupes seraient débarquées et établies dans la presqu'île de Tché-Fou. Ce point avait été choisi comme poste intermédiaire entre Shanghai et le Nord.
Cependant, les troupes arrivaient en rade à Woosung. Avant de partir pour Tché-Fou, le général apprit que des bandes de pillards ravageaient Shanghai et les environs. Il fit offrir au préfet Tao-Taï le concours de ses troupes pour en délivrer le pays.
26 mai. Le 26 mai fut un jour de fête pour les chasseurs; les armes, arrimées à fond de cale, leur furent rendues, ils espéraient descendre enfin à terre et pouvoir combattre, mais le fonctionnaire chinois comprit combien il était étrange de recourir, pour sauvegarder la ville, aux ennemis de son souverain. Il déclina les offres chevaleresques du général en chef.
Le bataillon resta à bord du Rhône, mais le bâtiment quitta le 1 juin le mouillage de Woosung et le débarquement, si ardemment attendu, eut lieu le 8, dans la baie de Tché-Fou.

Débarquement et séjour à Tche Fou (8 juin)

Il faisait encore nuit close; les chasseurs descendirent dans des canots qui furent remorqués jusqu'à la côte par le vapeur Kien-Chan. Le soleil commençait à peine à laisser entrevoir le paysage, lorsque 500 à 600 hommes, ayant à leur tête le général Jamin et l'amiral Protêt, abordèrent au rivage et plantèrent, aux cris de " vive l'Empereur!" le drapeau français sur la terre de Chine.
Nos hommes, surchargés de bagages, n'en furent pas moins les premiers à gravir au pas gymnastique le mamelon sur lequel devait être établi le camp de Tché-Fou; un petit fortin le dominait, mais il ne s'y trouvait aucun défenseur; seuls quelques paysans occupés aux travaux des champs furent les témoins inoffensifs de notre invasion sur leur territoire.
Le camp de Tché-Fou réunit pendant 6 semaines environ les troupes françaises du corps expéditionnaire. Les Anglais étaient installés en face de nous à Ta-lien-houan.
Ce séjour prolongé sous un climat salubre eut une heureuse influence sur l'état moral et sanitaire de l'armée. Les relations avec les habitants étaient bonnes; les vivres frais abondaient; la volaille, les oeufs et le poisson d'excellente qualité étaient offerts à des prix d'un tel bon marché que le général de Montauban disait en riant: " Henri IV est dépassé; nos hommes mettent la poule au pot tous les jours."
Les soldats oublièrent à Tché-Fou les fatigues de leur longue traversée; ils purent se préparer à celles qui les attendaient. Un seul souvenir douloureux restera attaché au séjour du bataillon dans la presqu'île: la mort des trois chasseurs Daudigeoss, Vigny et Dumas, et celle de M. le lieutenant de Montferrand, le premier officier enlevé dans cette lointaine campagne, avant même d'avoir trouvé l'occasion de combattre. Ses restes reposent sur la plage, à l'ombre d'une croix que ses camarades lui ont fait élever. C'est le premier jalon funéraire de notre passage en Chine.

Débarquement au Pei-Ho

Cependant la saison avançait et devenait favorable aux opérations militaires.
Les généraux décidèrent de porter la guerre sur le point même où s'était produit l'échec qui avait motivé la campagne.
Les canonnières anglo-françaises avaient été coulées à l'embouchure du Pé-ho, au pied des forts de Ta-Kou. C'est donc par la prise de ces forts que devaient commencer les représailles des puissances alliées.
Les Chinois avaient bien pensé que là porteraient nos premiers coups. Aussi avaient-ils hérissé d'artillerie les forts de Ta-Kou, dont toutes les embrasures regardaient la mer; mais ils n'avaient admis qu'une hypothèse d'attaque: les flottes combinées essayant de forcer la passe. Quant à la possibilité du débarquement sur un point de la côte d'une armée qui prendrait les forts à revers, ils n'y avaient pas même songé. Or, c'était précisément le mouvement que nous allions exécuter. Le débarquement devait s'effectuer, soit à droite, soit à gauche du cours du Pé-ho; les troupes gagneraient du terrain vers le Nord, pour se rabattre ensuite sur les forts, de manière à les attaquer par derrière et par terre.
Sur les indications de l'amiral Protêt, on avait d'abord fait choix d'un point de débarquement sur la rive droite du Pé-ho. Une reconnaissance dirigée par le lieutenant-colonel Schmitz, rendit compte que le changement de saison avait totalement transformé l'état des terrains reconnus par la marine, et le point définitivement adopté l'atterrissement fut l'embouchure du Peh-Tang-Ho.

Carte des opérations de la première partie de la campagne


Le 24 juillet, la flotte appareille dans cette direction. Elle arrive le 1er août.
1er août. A 3 heures de l'après-midi, le canon donne le signal du débarquement. Les troupes sont entassées dans toutes les embarcations de l'escadre; les 7e et 8e compagnies du bataillon occupent les premières chaloupes; bientôt la quille des canots crie sur le sable, tout le monde se jette à la mer. Les chasseurs, ayant de l'eau jusqu'à la ceinture, traversent 1,500 mètres de mer et ont l'honneur de toucher les premiers la terre ferme. A quelques pas derrière eux, le général de Montauban souriait et paraissait heureux et fier de voir ses petits chasseurs déjà ralliés en bataille tandis que les grands riflemen n'étaient encore qu'à 500 mètres de la plage.
Le bataillon espérait marcher tout de suite à la prise de Peh-Tang, mais il fallut attendre nos alliés; Vers minuit, les capitaines Blouet, Lafouge, Etienne, du bataillon, accompagnés de quelques chasseurs et de deux ou trois officiers anglais, étaient entrés silencieusement dans la ville et avaient arboré sur les talus des forts les pavillons des nations alliées. Ce n'est qu'à 3 heures du matin que la 1ere compagnie envoyée en reconnaissance sur le village y entra sans coup férir. Les Tartares l'avaient abandonné ainsi que les deux forts qui en défendent les approches.

Capitaine Lafouge
2e compagnie

Capitaine Etienne
7e compagnie

Dès l'aube, les sapeurs du génie procédèrent à la visite des forts: ils y découvrirent une quantité de machines infernales et de bombes qui furent aussitôt détruites. Le lendemain, les troupes s'installèrent à PehTang; une reconnaissance, sous les ordres du général Collineau, fut chargée d'explorer la chaussée qui mène à TaKou. Quelques coups de fusil furent échangés avec les Tartares, dont la retraite nous révéla l'existence du camp retranché de Sin-Ko.
L'armée fut immobilisée à Pé-Tang jusqu'au 12 aout. Ce délai était nécessaire pour débarquer l'artillerie, les munitions et les subsistances.

On quitta enfin ce séjour désolé et malsain. La bataillon entra dans la composition d'une brigade mixte commandée par le général Anglais Stanley. Cette brigade forma l'avant garde et s'engagea tout d'abord sur la chaussée. Arrivée en vue du camp retranché de Sin-Ko, les troupes se formèrent en bataille : nos hommes, pesamment chargés, enfonçaient jusqu'à mi jambes dans les terrains marécageux ; la marche fut des plus pénibles. On fit halte à 600 mètres environ des ouvrages chinois. Les parapets n'étaient heureusement défendus que par des canons primitifs et des fusils de remparts. L'artillerie alliée les réduisit promptement au silence. Un obus bien dirigé fit sauter la porte du fort. Tout le monde s'y précipita et l'infanterie occupa le camp retranché sans avoir un coup de fusil à tirer.
Après une halte d'une demi-heure, le bataillon, replacé sous les ordres du général Jamin, poussa sur la chaussée une reconnaissance dans la direction du principal camp retranché de la rive gauche du fleuve : le fort de Tang-Ho. Quelques boulets furent titrés de part et d'autre sans grand résultat. La brigade Jamin revint bivouaquer à Sin-Ko.

Prise du camp retranché de Tang-Hoo (14 aout)

Le 14 aout à 6 heures du matin, les armées alliées se mettent en marche dans le direction de Tang-Hoo. Les Anglais sous les ordres du général Napier, suivent à notre droite la route de Tien-Tsin. Ils doivent se rabattre sur nous au moment de l'attaque décisive. Le brigade Jamin, ayant en tête une compagnie du génie et les chasseurs en colonne serrée par divisions, occupe le centre de la ligne de bataille. La brigade Collineau avance à gauche sur la chaussée. A 600 mètres environ, l'artillerie chinoise ouvre son feu ; nos batteries ripostent et en deux heures arrivent à éteindre de feu adverse. Le monment de l'assaut est arrivé. Le colonel Schmitz, malgré une fièvre ardents qui le dévore, est chargé de former la colonne d'assaut. Le bataillon, 7e et 8e compagnies en tête, s'ébranle au pas de gymnastique à la suite du colonel.
Le forts est entouré de deux fossés parallèles remplis d'eau et séparés par une forte palissade, où aucune brèche n'a été pratiquée ; sans hésiter, le colonel se jette à l'eau. Le froid le saisit, il disparaît. Le sergent Laîné et le sergent major Gée, qui l'ont suivi, le retirent de l'eau ; à leur suite, les deux compagnie s'élancent ; les chasseurs se font la courte échelle, abattent la palissade, disparaissent dans le second fossé, grimpent sur le talus d'escarpe et s'engouffrent dans les embrasures, pendant que les sapeurs du génie enfoncent les portes à coups de haches.

Sergent major Gée
Cité comme "s'étant jeté à l'eau le premier pour franchir les fossés"
Promu officier


A ce moment le drapeau tricolore flotte au sommet du fort. Le colonel Schmitz vient de l'y planter à la vue des deux armées qui battent des mains.
Le bataillon est rallié à l'intérieur du camp retranché. Tous les défenseurs sont en fuite; ils essuient dans leur retraite le feu de nos carabines et vont donner dans la colonne anglaise, qui opère par la droite son mouvement tournant. Les cavaliers tartares chargent bravement nos alliés, mais un feu nourri les disperse; ils fuient dans toutes les directions.

Capitaine Garnier des Garet

Sous Lieutenant au 2e bataillon de chasseurs (ici capitaine quelques semaines avant la guerre de 1870).

Il est cité à l'ordre du corps exéditionnaire comme s'étant particulièrement distingué pendant les opérations de la journée du 14/8/1860 et la prise des forts de Tang Ko.
Il a decrit son rôle ce jour dans ses lettres de Chine :
"Nous approchons toujours et nous voilà à 500m et nous plaçant alors dans l'intervalle des pièces, nous commençons notre feu sur les créneaux et les pièces. Quatre immenses drapeaux, deux blanc, deux rouges, flottent sur la porte d'entrée. Il en tombe trois. Le plus grand reste seul. En ce moment j'aperçois les Anglais qui se mettent en mouvement vers la droite. J'en préviens le commandant de l'artillerie qui se trouvait à côté de moi. "Eh bien Mr des Garets, me dit-il, allez voir avec vos chasseurs ce que nous avons fait".
J'attrape la balle au bond, je préviens mon capitaine et, sans autre ordre, nous marchons en avant. Nous prenons le pas de course pour ne pas rester trop longtemps exposés aux projectiles sur ce terrain dénudé et nous nous précipitons sur la porte. Mais le pont est coupé. Le fossé a 4m de largeur et une profondeur inconnue. Je commet l'affreuse bêtise de ne pas m'y jeter en premier, croyant que le génie qui nous suivait allait rétablir le passage avec des échelles. Un sergent de ma compagnie n'hésite pas. Il se précipite dans l'eau, mon sergent major de le suivre et moi d'en faire autant. Je nage pour ne pas embourber. J'ai mon revolver entre les dents, mon sac et ma couverture en bandoullière. je sens mes bottes se remplir d'eau par en haut. J'en ai jusqu'aux épaules. Je lutte comme un malheureux pour grimper à ces fascines toutes glûantes d'une boue grasse. Elles me viennent dans les mains. En vain je m'accroche aux abbatis d'arbres, ils me crêvent les yeux. Je suis sur le point de retomber au fond du fossé quand un sergent qui a trouvé un chemin me tend la main et j'arrive enfin le premier des officiers de chasseurs.
Je me précipite sur le grand drapeau blanc resté debout, mais le Colonel Schmitz, de quelques pas plus avancés, le saisit le premier"
.

   


Le général de Montauban voulait aller de l'avant et enlever le jour même le premier des forts de la rive gauche du Pé-ho; mais les Anglais demandaient du repos : nous dûmes retourner au bivouac de Sin-Ko.
Dans cette brillante journée, le bataillon n'eut que 4 chasseurs blessés: Drouard de la 4e compagnie, Maloubier de la 6e, Delage et Foucault de la 8e. Conformément à l'ordre du général Jamin, le commandant de la Poterie lui adressa le soir même le rapport suivant:

Mon Général,
En ayant l'honneur de vous rendre compte de la conduite du 2e bataillon de chasseurs pendant cette journée du 14 août 1860, je crois n'avoir rien à vous apprendre en vous disant que tous, officiers, sous-officiers et chasseurs, ont fait parfaitement leur devoir, puisqu'ils ont agi la plupart du temps sous vos yeux, et que vous avez vu comme moi qu'à chaque commandement de marcher en avant, il se manifestait dans les rangs une joie bien apparente. Lorsque l'ordre fut donné de s'avancer au pas gymnastique à l'escalade du fort, l'élan fut unanime: ce fut à qui arriverait le premier pour franchir les fossés remplis d'eau, qui forçaient à nager dans plusieurs endroits, et pour gravir les retranchements; tous s'y seraient jetés aussi résolument à leur tour, si le général en chef n'avait donné l'ordre de cesser et d'évacuer la tranchée, pour laisser passer un équipage de ponts.
Tous ont montré beaucoup de zèle et d'entrain; mais je dois vous signaler plus particulièrement les 7e et 8e compagnies, commandées par MM. Étienne et de Paillot, qui ont servi d'escorte à l'artillerie pendant son action et sont arrivées en tête de la colonne pour franchir les fossés et les talus du camp. Je dois citer surtout le sergent Lainé et le sergent-major Gée, de la 7 compagnie, qui, les premiers, se sont jetés bravement à l'eau sans en connaître la profondeur, lorsque l'aspect des fossés inondés arrêtait les plus déterminés. Les premiers officiers du bataillon parvenus sur le retranchement, à la suite de M. le colonel chef d'état-major Schmitz, qui s'y était fait hisser le premier, furent : MM. les capitaines Étienne, de Paillot, de Linière, Amiot; MM. les lieutenants Raissac, de Roquefeuil, Germa, Sabail; les sous-lieutenants des Garets, Bourguignon, Guélot, Gallimard, de la Villatte, faible et malade, qui, sans le secours de l'adjudant Gagin, qui s'est précipité dans le fossé pour le soutenir, allait se noyer.
Je recommande à votre bienveillance les blessés. Je crois devoir aussi, mon Général, vous recommander particulièrement le chasseur Torné, de la 8e compagnie, arrivé le premier sur les remparts, et M. le médecin aide-major Weber, venu volontairement au bataillon pour faire la campagne de Chine, déjà proposé pour la décoration en Italie, et qui, comme toujours, a montré beaucoup de zèle pour porter secours aux blessés pendant toute cette journée.
Agréez, etc...
DE LA POTERIE.

Le lendemain paraissait l'ordre de l'armée où le bataillon, particulièrement félicité, obtenait onze citations : Les capitaines Etienne et de Paillot, les lieutenants Raissac et de Roquefeuil, les sous lieutenants des Garets et Bourguignon, le sergent major Gée, le sergent Lainé, les chasseurs Torné, Drouard et Delage

Sous Lieutenant Gallimard

Capitaine de Paillot
8e compagnie
Fait chevalier de la Légion d'Honneur

Capitaine Amiot
6e compagnie
Officier de la Légion d'Honneur en 1861

Lieutenant Germa
Se distinguera en Cochinchine et y recevra la croix

Capitaine Etienne
7e compagnie
Cité
Finit sa carrière comme général de brigade

Lieutenant Raissac
7e compagnie
Cité - Promu capitaine le 4/8/1861

Lieutenant Bourguignon
7e compagnie
Cité comme étant l'un des premiers arrivés sur le parapêt
Passe dans l'intendance en 1870 et y fera une belle carrière

Le jour suivant, 15 août, la fête de l'Empereur fut célébrée au camp de Sin-Ko. Une messe solennelle, suivie d'un Te Deum, fut dite sur un autel de feuillage, en présence de toute l'armée. La cérémonie religieuse fut suivie de courses et de jeux, auxquels les Anglais eurent la courtoisie de s'associer.

Passage du Pé-ho (18 août).

En vue de l'attaque prochaine des forts de Ta-Kou, le général de Montauban chargea le colonel du génie Livet, de reconnaître un point favorable pour l'établissement d'un pont de bateaux à l'Ouest et en amont du village de Sia-O-Leantse. Le colonel partit avec une compagnie du génie et les fusiliers marins.
La petite troupe traverse le Pé-ho sur des jonques et des sampans; mais, arrivée sur la rive droite, elle est accueillie par une vive fusillade partant des vignes, des vergers et des bois qui entourent le village. Le colonel Livet riposte avec énergie; mais sa position avec un fleuve à dos contre un ennemi vingt fois supérieur n'est pas sans danger. Instruit de la tournure que prend l'engagement, le général ordonne au 2e bataillon de franchir le fleuve sur les mêmes embarcations. A peine l'ordre est-il donné que tous les chasseurs se précipitent dans les jonques et les dirigent à la rame ou à la gaffe vers la rive opposée. Ils arrivent juste à temps pour soutenir et ramener au combat la poignée de braves qui allaient être jetés à l'eau. Le bataillon pénètre dans le village; mais pendant que six compagnies sont occupées à fouiller les massifs boisés et les vergers, les 1ere et 2e compagnies emportées par leur ardeur, et malgré les ordres formels du colonel Livet, franchissent avec les fusiliers marins ce théâtre restreint du combat et s'aventurent jusqu'à 800 mètres dans une plaine inculte, n'offrant pour abris que quelques tumuli épars çà et là.
Les voilà exposées seules aux charges d'une cavalerie innombrable. En même temps arrive le capitaine de Cools. Il vient prescrire au colonel Livet de ne pas pousser de l'avant et de garder seulement Sia-O-Leantse comme tête de pont.
Le colonel veut montrer qu'il a dû pénétrer jusqu'à la lisière extérieure des vergers pour se garder des embuscades tartares et s'aperçoit alors que ses ordres sont outrepassés. Il prescrit immédiatement au commandant de la Poterie de faire battre en retraite ses deux compagnies. Leur position était périlleuse :
"Nous étions en tout peut être 120 hommes écrit M. de Boissieu, sous-lieutenant à la 2o compagnie, et nous avions certainement affaire à 3 ou 4000 cavaliers soutenus par une quinzaine de pièces de canon qui tiraient sur nous sans relâche. Heureusement ces cavaliers étaient des Tartares... Nous sommes restés ainsi plus d'une heure, déployés en tirailleurs, abrités autant que possible par des tumuli et maintenant par notre tir à six et huit cent metres ces bandes de cavaliers qui supportaient notre feu avec un aplomb imperturbable, mais sans avancer. Les balles pleuvaient comme grêle tout autour de nous. Nous étions à près d'un kilometre des vergers, notre seule resource en cas de charge de la part des tartares qui n'auraient pas pu nous y suivre... Et le reste du bataillon n'apparaissait pas. Nos hommes, tout en faisant bien leurs devoirs, etaient inquièts et se retournaient sans cesse vers le côté d'où le secours devait nous venir. Je vous assure que moi aussi je n'etais pas sans une certaine anxiété, et les balles, que tout à l'heure je saluais au passage, sifflaient maintenant à mes oreilles, inaperçues et sans le moindre hommeur de ma part. Je me rassurais en rassurant mes hommes et en m'occupant à diriger leurs coups, la lorgnette à la main, je rectifiais leur hausse et leur désignais les points à viser. Enfin, après plus d'une longue heure, deux compagnies du bataillon débouchent dans la plaine. A ce moment l'élan de nos soldats devient magnifique. On crie "en avant !" et tout le monde s'élance au pas de course sur les Tartares, qui tournent bride, et sur les canons que les artilleurs abandonnent. "
Le commandant Jauréguiberry, qui commande les fusiliers marins, montre au capitaine Avocat une batterie tartare qui prend à revers nos tirailleurs : " Capitaine, lui dit-il, il faut enlever à tout prix cette batterie, vous nous rendrez un signalé service!" " En avant! à la batterie ! " commande aussitôt M. Avocat, et les hommes mettant baïonnette au canon, s'élancent au pas de course sur les pièces que les artilleurs abandonnent. L'une d'elles est encore chargée; les chasseurs la retournent et font feu sur les fuyards.

Capitaine Avocat
4e compagnie
"Héros du passage du PeÏ-Ho"
Fait officier de la Légion d'Honneur

Le colonel Foullon de Grandchamps arrive alors avec 4 pièces de montagne. Sous la protection de leur feu, nos tirailleurs regagnent les vergers et s'installent solidement sur la lisière, en arrière d'un fossé infranchissable aux cavaliers cnnemis.
La possession de Sia-O-Leantse nous assurait le libre passage du Pé-ho. Dès le lendemain un pont de bateaux fut installé et livra passage à toute la brigade.
Le succès de cette brillante journée appartient exclusivement au bataillon. L'ordre du 20 août, extrêmement flatteur, vint le récompenser de ses efforts. Sont cités MM les capitaines Avocat, Comte, Blouet, Lafouge, de Linière ; Les lieutenants Ratier, Fauquignon, Aiguesparses ; les sous lieutenants Lagroua, Lamothe, de Montille, de Boissieu et Fornari, l'adjudant Gagin. Un chasseur fut tué : Berty, et cinq autres furent blessés : Curnil, Villette et Daudin de la 1ere, Lemoine, Bourre, de la 2e. On ne peut se défendre d'un étonnement légitime en constatant ces résultats merveilleux obtenus contre un ennemi dix fois supérieur en nombre. En dehors de la valeur des hommes et de l'habileté de leurs chefs, le facteur le plus important de nos succès fut la supériorité écrasante de l'armement. Il ne faudrait pas croire en effet que les Tartares fussent des ennemis méprisables. En toute occasion ils firent, au contraire, preuve d'une indiscutable bravoure. Le général de Montauban, après avoir inspecté le champ de bataille du 14 août, n' a-t-il pas fait à ses officiers cette réflexion prophétique : " Je ne sais pas, Messieurs, ce que nous réservent les suites de cette campagne; mais je me demande ce que feront ces gens-là quand ils seront bien armés, et lorsqu'en les battant, nous leur aurons appris à se battre. "

Capitaine Comte

Lieutenant Fauquignon
Promu Capitaine le 6/11/1860

Sous Lieutenant Lagroua
Tué à Champigny le 2/12/1870

Sous Lieutenant Lamothe
Tué comme officier de zouaves
Le 6/8/1870 à Woerth

Sous Lieutenant Bizouard de Montille
Promu Lieutenant le 6/11/186.
Tué à Servigny le 31/8/1870

Prise des forts de Ta-Kou (21 Aout).

Une colonne mobile fut formée le 20 août sous les ordres du général Jamin. Les 6e et 7e compagnies furent désignées pour en faire partie (capitaines Amiot et Etienne). Il s'agissait de procéder à la reconnaissance approfondie des défenses du Pé-ho. La colonne, en approchant des forts, fut saluée par une canonnade assez nourrie, mais infructueuse. Le général Jamin put rendre un compte exact de l'organisation des ouvrages chinois. A l'embouchure du fleuve, sur l'une et l'autre rive, s'élevaient deux forts dont l'artillerie battait la mer. En amont de chacun de ces deux ouvrages se dressaient deux autres forts couvrant de feux les premiers et enfilant la rivière. Enfin le système se complétait d'un vaste camp retranché, qui s'étendait jusqu'à la jonction des marais et de la terre ferme. Afin d'assurer la simultanéité des efforts et de neutraliser l'avantage que donnait à la défense le fossé naturel creusé entre les deux tronçons de nos troupes de terre, le général de Montauban suggéra aux armées alliées le plan d'attaque suivant :
La 2e brigade française et l'armée anglaise devaient s'emparer tout d'abord du premier fort de la rive gauche; ce premier ouvrage occupé, elles marcheraient droit sur le deuxième fort, situé à l'embouchure, qui serait enlevé avec l'appui des canonnières. La nuit se passerait à achever l'occupation de toute la rive gauche. Le lendemain, les canonnières devaient remonter le fleuve, s'embosser derrière les forts du Sud, et prêter ainsi l'appui de leurs canons de gros calibre à la première brigade, qui s'emparerait à son tour des défenses de la rive droite. Ces ingénieuses dispositions furent adoptées; l'exécution en fut remise au 21 août.

Au jour fixé, la brigade Collineau et les Anglais, commandés par le général Stanley, marchent contre le premier fort de la rive gauche. L'artillerie française, sous les ordres du colonel de Bentzmann, précède l'infanterie; elle ouvre le feu à 1,500 mètres; l'artillerie anglaise se met en batterie à son tour. Une formidable canonnade s'engage. Tout à coup le fort se couvre d'un énorme panache de fumée : la poudrière vient de faire explosion. Immédiatement le général Collineau reçoit l'ordre de mettre en mouvement la colonne d'assaut. Le premier fossé est franchi en un clin d'oeil. Les Français escaladent les talus et vont tuer sur leurs pièces les canonniers chinois. Bientôt les trois couleurs flottent sur le cavalier du fort. Si l'attaque a été vigoureuse, la défense n'a pas été moins vaillante; nos pertes sont très sensibles. Un seul homme du bataillon a assisté à cette affaire: le caporal Sapia, secrétaire du général Collineau. Il a eu l'honneur d'être cité à l'ordre de l'armée.
A peine étions-nous maîtres du premier fort, que les généraux virent flotter un drapeau blanc au sommet du second. Le colonel Dupin, pour la France, le capitaine Grant, pour l'Angleterre, furent envoyés pour parlementer. Les mandarins avec lesquels ils s'abouchèrent demandaient une suspension d'armes, mais à des conditions qui furent repoussées par les émissaires européens.
" Si dans deux heures, signifièrent les généraux, les forts ne sont pas remis entre nos mains, l'attaque recommencera. Venez donc les prendre!" répondirent fièrement les mandarins. Deux heures s'écoulent; le général Collineau met ses troupes en mouvement, il s'approche du fort; pas un coup de canon n'est tiré; à la profonde stupéfaction de tous, nos soldats pénètrent dans la forteresse et l'occupent sans coup férir.
Le commandant Campenon et le capitaine de Cools traversent alors la rivière et vont conférer avec le vice-roi du Pet-Chi-Li. Les pourparlers durent deux heures; après quoi, le fonctionnaire chinois signe la reddition pure et simple de toutes les défenses du Pé-ho. La mort du frère de SanKo-Lit-Sin, le connétable chinois, tué par l'explosion de la poudrière, avait jeté la démoralisation dans les troupes chinoises.
Ce brillant fait d'armes, auquel le bataillon avait assisté l'arme au pied et frémissant de son inaction forcée, mettait entre nos mains cinq forts, deux camps retranchés, 518 pièces de canon et une quantité de drapeaux. Il nous ouvrait les portes de la Chine.

Marche sur Tien Tsin.

La prise des forts du Pé-ho changeait entièrement la face des choses. On pouvait considérer à la rigueur la guerre comme terminée. Les Impériaux, si fiers de leurs succès de l'année précédente, étaient forcés de ployer le genou devant ces Barbares dont ils avaient bombardé les flottes et outragé le pavillon. Cette humiliation leur était infligée à la place même où l'insulte s'était produite. Ils n'avaient plus qu'à signer un traité de paix arrêtant aux portes de Tien-Tsin nos armées victorieuses. Nos diplomates et nos généraux s'y attendaient.
" La guerre est finie écrit M. de Boissieu, tous les forts sont entre nos mains. Ce que nous avons fait était un joli commencement, mais c'est trop peu pour une campagne ; elle ne vaut pas six mois de traversée. " La diplomatic du Céleste-Empire, plus féconde en ressources que ses armées, devait bientôt offrir à nos soldats d'autres compensations et d'autres triomphes.
Les ambassadeurs, prenant les devants, se rendirent à Tien-Tsin en remontant le Pé-ho sur les canonnières. L'armée reçut à son tour l'ordre de partir pour Tien-Tsin; les Français devaient suivre la rive gauche, les Anglais la rive droite. D'après ces dispositions, le bataillon repasse le 26 sur la rive gauche et va camper à Sin-Ko. Le 27, le corps expéditionnaire se met en route. Les troupes traversent une vaste plaine couverte d'une luxuriante végétation. La chaleur, déjà très forte, devient accablante dans la journée du 31. Un grand nombre de soldats de tous les corps restent couchés sur les bords du chemin; quelques-uns meurent d'insolation. Le bataillon, placé à l'arrière-garde, se pique d'amour-propre; tous les hommes restent à leur rang et le soir pas un de nos petits chasseurs ne manque à l'appel.
Arrivée à TienTsin début septembre, la 2e compagnie (Capitaine Lafouge) seule est admise dans Tien-Tsin pour servir de garde d'honneur au général de Montauban et au baron Gros, ambassadeur de France. Le reste du bataillon campe à quelques kilomètres de la ville.
Le 3 septembre, deux fonctionnaires chinois, nommés Koué-Liang et Hang-Fou, font savoir aux ambassadeurs qu'ils sont prêts à traiter de la paix au nom de l'Empereur et à désavouer le regrettable malentendu survenu entre le Céleste-Empire et les deux nations belligérantes.
Nos ambassadeurs, négligeant de demander aux plénipotentiaires chinois la communication de leurs pouvoirs, entamèrent avec eux d'interminables pourparlers, pendant lesquels San-Ko-Lit-Sin acheva de masser autour de Pékin toutes les troupes dont il pouvait disposer. On fixa des conventions, et, lorsqu'après de très longs discours, il s'agit de les signer, Koué-Liang et Hang-Fou déclarèrent qu'ils n'étaient pas investis des pouvoirs nécessaires. Dans la nuit, ils prirent la fuite.

Marche sur Pekin

Les ambassadeurs prirent alors la résolution de se rendre aux portes de Pékin pour signer la paix, cette fois avec des plénipotentiaires dûment autorisés.
Mille hommes avaient tout d'abord paru suffisants pour escorter cette marche de triomphateurs; la méfiance britannique eut l'heureuse influence de décider le général de Montauban à emmener avec lui la 1ere brigade et 2 batteries d'artillerie.
Les Anglais en forces égales partirent de Tien-Tsin le 9 septembre. Nous les suivîmes à 24 heures d'intervalle. Le début de la marche s'opéra sous un soleil de plomb. Le bataillon était à l'arrière-garde. Vers le soir, le ciel se couvrit et un épouvantable orage ne tarda pas à éclater, inondant nos tentes d'un déluge d'eau et de grêle. Lorsque le sommeil régna dans le camp, la plupart de nos coolies et tous les conducteurs chinois, obéissant à un mot d'ordre qui sans doute venait de haut lieu, abandonnèrent les charrettes de transport et se sauvèrent, emmenant avec eux les mulets réquisitionnés ainsi que toutes les bêtes de somme appartenant à l'armée. La situation aurait pu devenir embarrassante sans l'heureuse inspiration du colonel de Bentzmann, qui imagina d'utiliser pour le transport du matériel les voies fluviales. Le convoi nous suivit dès lors par eau. L'orage du 10 septembre eut du moins l'avantage de mettre un terme aux grandes chaleurs.
Nous arrivons le 12 à Yan-Tsoun. Le gouvernement chinois envoie à notre rencontre un membre de la famille impériale, le prince Tsaï, qui demande le retrait de nos troupes à Tien-Tsin, où des négociations sérieuses seront entamées. Les ambassadeurs lui signifient que maintenant la signature aura lieu à Tong-Tehé-Ou. L'armée poursuit donc sa marche et arrive le 14 à Ho-Si-Ou. Les ambassadeurs reçoivent dans cette ville la réponse du prince Tsaï, acceptant le rendez-vous à Tong-Tché-Ou. Il exprime seulement le désir que les ambassadeurs s'y rendent avec une suite peu nombreuse, tandis que les troupes alliées stationneront à deux lieues de la ville. Les offres sont acceptées; les secrétaires d'ambassade, MM. de Bastard pour la France, et de Norman pour l'Angleterre, partent pour TongTché-Ou, afin de conférer avec les diplomates impériaux. En même temps, sur les ordres du général en chef, le sous-intendant Dubut, le colonel de Grandchamps, le capitaine Chanoine, les officiers d'administration Ader et Gagey se rendent dans la ville pour préparer les subsistances et l'assiette du logement. Les Anglais envoient de leur côté le colonel Walcker, le lieutenant Anderson et M. Bowlbey. L'armée doit marcher sur leurs traces; eux-mêmes reçoivent l'ordre de venir au-devant d'elle pour lui assigner ses cantonnements définitifs en avant de la ville.

Bataille de Tchang-Kai-Wang (18 septembre)

L'armée lève le camp le 18 au matin; les Anglais sont à l'avant-garde. Au bout de 2 heures, un capitaine de Sikhs vient prévenir le général de Montauban que nous avons en face de nous une véritable armée tartare. Le renseignement ne tarde pas à être confirmé par le capitaine Chanoine et M. Gagey. A tout hasard, les dispositions militaires suivantes sont arrêtées par les deux généraux : les Anglais resteront à cheval sur la route et exécuteront l'attaque de front, pendant que la brigade française, faisant tête de colonne à droite, tentera de tourner la gauche de l'ennemi. A ce moment arrivent MM. de Bastard et de Méritens, montrant d'une part le traité signé, et confirmant de l'autre les renseignements de MM. Chanoine et Gagey. On se refusait encore à croire à une trahison aussi perfide, lorsque 3 coups de canon se font entendre. Au même instant, on voit arriver à bride abattue le colonel Walcker, suivi de quelques cavaliers. L'officier anglais et son escorte n'ont échappé à la mort que grâce à la vitesse de leurs chevaux; les 3 coups de canon ont été tirés sur eux sans les atteindre.
M. Walcker a vu tuer sous ses yeux M. Ader sans avoir pu lui porter secours. Celui-ci a crié en tombant : " Mon colonel, courez au camp et dites comment se comportent ces canailles-là ! " Son ordonnance, un héros du 2e bataillon, le chasseur Ouzouf, l'a défendu avec un courage admirable, embrochant avec sa baïonnette tous ceux qui cherchaient à approcher de son officier.
Les généraux savent désormais à quoi s'en tenir. La situation est critique : l'armée tartare occupe en face de nous une ligne longue de 5,000 mètres, abritée par une chaussée, s'appuyant, à droite, à un village fortifié, à gauche, au canal impérial. Les deux ailes nous débordent et menacent de nous envelopper.
Le mouvement de flanc de la brigade française commence sur-le-champ. Le bataillon, fort de 5 compagnies seulement (4e, 5e et 6e à la garde du convoi), forme le noyau principal de nos forces. Il sert de pivot au mouvement tournant; l'artillerie est au centre; les compagnies d'élite des 101 et 102e de ligne occupent l'aile marchante à l'extrême droite.
Deux villages nous séparent des Tartares. Les chasseurs s'élancent sur le premier, et tandis que les 1re, 7e et 8e compagnies repoussent par leurs feux de salve les charges furieuses exécutées sur notre gauche, les 2e et 3e traversent rapidement le village, que l'ennemi abandonne. Le bataillon se rallie au-delà de ce premier village en face du second, nommé Léost, protégé par une longue courtine garnie d'artillerie, qui nous salue d'une pluie de boulets. Le commandant de la Poterie s'arrête un instant pour attendre l'artillerie, que le colonel Schmitz place lui-même sur une éminence. Les pièces françaises ouvrent aussitôt le feu et commencent à foudroyer Léost. Aussitôt les chasseurs fondent à la baïonnette sur les canons tartares. L'ennemi s'enfuit à travers les arbres et les maisons. On traverse le village d'un seul bond. A la sortie se présente une grande plaine, où fuient en désordre des milliers d'ennemis. Notre mouvement de flanc a été appuyé vigoureusement par une brillante charge de cavalerie exécutée par les Silks et les spahis, sous les ordres du colonel Fowley et du lieutenant de Damas. La chaussée du canal est à nous. Toute la brigade marche en bataille, l'artillerie au centre, la droite appuyée à cette chaussée. Le général de Montauban poussé ainsi devant lui les forces ennemies confondues et réduites à l'état d'un immense troupeau. Il vient rejoindre en équerre la brigade anglaise, dont les canons foudroient les fuyards. Les Tartares disparaissent en désordre dans la direction de Pékin.
L'armée fait halte; il est 2 heures. Cette journée portait un coup terrible à SanKo-Lit-Sin en démoralisant ses troupes. Les cadavres chinois jonchaient la terre; 80 pièces de canon restaient en notre pouvoir. Dans nos rangs, au contraire, des pertes insignifiantes. Le bataillon, qui avait donné toute la journée, ne comptait que deux blessés. Sont cités pour la journée, le commandant de la Poterie, les capitaines Blouet, Lafouge, de Paillot ; le sapeur Tappet et le chasseur Troubet, blessés, le chasseur Ouzouf disparu. On ne trouva près d'un buisson que sa casquette et sa carabine. Les Chinois ne devaient nous rendre que plus tard son cadavre martyrisé.

Etienne Tappet
Sapeur, blessé
Reçoit la médaille militaire

Capitaine de Paillot
8e compagnie
Ici après sa promotion comme chef de bataillon

Capitaine Lafouge
Photographié après sa promotion comme chef de bataillon en 1866
Commande l5e bataillon de chasseurs en 1870

Bataille de Palikao (21 septembre)

Le 21 septembre, le café est fait dès l'aube. L'armée lève le camp par un temps magnifique et se met en marche sur Pékin dans l'ordre suivant : la brigade Jamin occupe la droite, elle longe le canal impérial; la brigade Collineau, au centre, fournit l'avant-garde et marche droit sur le pont de Palikao; les Anglais tiennent la gauche; ils devront exécuter un mouvement tournant à grand rayon, traverser le canal en amont de Palikao et couper aux Tartares leur ligne de retraite. Le 2 bataillon de chasseurs fournit à la brigade Collineau les deux compagnies de tête d'avant-garde cet honneur est dévolu à la 4e (capitaine Avocat) et à la 5e (capitaine de Linière); la 8e est détachée au convoi qui se tient au confluent du canal et du Pé-ho. Les autres compagnies restent avec la brigade Jamin. Le champ de bataille présente la disposition. suivante : un ensemble de camps retranchés sur chaque flanc de la plaine abritant 25,000 à 30,000 Tartares de choix, les cavaliers les plus redoutables de l'empire; au centre, le village de OuaKoua-Ye, fortement occupé ; à droite, à gauche et en arrière, des bois, des tombeaux, des groupes d'habitations couvrant une nombreuse artillerie et des masses de fantassins; enfin, dans le fond, le village de Palikao et son pont célèbre, dernière ressource de la défense, dont la garde était confiée à l'élite des Impériaux. Tel était le cercle formidable dans lequel l'armée des alliés devait, au dire des Chinois, trouver infailliblement son tombeau.
San-Ko-Lit-Sin en personne commande les troupes chinoises et sa bannière de Sen-Wang (généralissime) donne " à la muette " et par des oscillations analogues à celles de nos disques actuels de signaleurs, les ordres de mouvement à tous les chefs secondaires. La cavalerie tartare, longtemps immobile à 700 ou 800 mètres de nous, s'ébranle tout à coup et se rue sur l'avant-garde du général Collineau; les deux compagnies se déploient à droite et à gauche de la batterie d'avant-garde et laissent approcher les escadrons jusqu'à 200 mètres. " L'admirable feu des chasseurs, " dit le rapport officiel, " abat tout ce qu'ils avaient devant eux pendant que l'artillerie tire à mitraille. " La masse ennemie subit un flottement sérieux et évolue pour pénétrer dans le créneau situé entre la gauche de la 2o brigade et les Anglais. Mais en un instant la brigade se déploie et s'allume comme un volant; la batterie de 12 tire à mitraille, l'infanterie exécute de terribles feux de salve. Une charge de Silks ramène les cavaliers tartares, qui vont se reformer derrière un rideau d'arbres.
En même temps d'autres escadrons attaquent furieusement la brigade Jamin. Les 6 compagnies de chasseurs soutiennent la 2e batterie de 12 (capitaine Dispot), sur laquelle se dirige la cavalerie ennemie. Les obus et les balles ont beau la faucher, les cavaliers semblent renaître de leurs cendres; leur acharnement est tel, qu'à un moment donné, ils approchent jusqu'à 30 mètres des pièces; mais nos salves nourries et régulières les font reculer, flotter à droite, puis à gauche, où ils défilent sous le feu. L'infanterie chinoise, qui s'est portée au secours de ses escadrons, est accueillie à son tour par la batterie Dispot, dont les obus causent dans ses rangs d'épouvantables ravages. Un mouvement de retraite accentué commence à se dessiner. Les masses ennemies refluent sur le pont de Palikao, réparant peu à peu leur désordre.
Ici nous laissons la parole au rapport officiel :
"Le pont, monument grandiose d'une civilisation vieillie, présentait alors un spectacle remarquable: des fantassins richement vêtus agitaient des étendards et répondaient à découvert, par des feux peu meurtriers, à celui de notre artillerie et de notre mousqueterie. Les cavaliers, si ardents le matin, avaient disparu et l'élite de l'armée, les Tartares de la bannière impériale, se dévouaient pour couvrir une retraite précipitée. Au bout d'une demi-heure, nos batteries avaient tué un grand nombre de défenseurs et fait taire leurs canons. Le général de Montauban fait sonner la charge, le général Collineau, avec son avant-garde, enlève le pont au pas de course. Les servants des dix pièces qui défendaient le pont se font tous tuer l'un après l'autre sur leurs pièces par les chasseurs du 2e bataillon. Le général en chef suit avec le reste des forces. Il était midi, le combat durait depuis sept heures du matin et l'ennemi avait disparu dans un état de démoralisation complète, laissant plus de 1,000 hommes tués ou blessés sur le champ de bataille. L'armée fit halte. Après deux heures de repos, les troupes furent établies dans le camp et sous les tentes mêmes des soldats du SenWang, à 12 kilomètres de la capitale de l'Empire. "

   
Le pont de Palikao - Photo Felice Beato

Lettre du Capitaine Garnier des Garet

"La cavalerie tartare s'ébranle et nous charge à fonds de train. Elle approchait rapidement. Le général Montauban, au milieu de nous, nous crie : "Allons, chasseurs !". Tous le monde dans son escorte met le sabre au poing. A peine les Tartares sont à 100m de nous que nous commençons une fusillade d'enfer. La batterie de 12 arrive et se met en position, les fuséens en font autant. Alors, tout tonne à la fois. Nos énormes obus de 12 rasent la terre et font d'énormes trouées dans les rangs des Chinois. Les fusées jettent l'épouvante, les chevaux se cabrent, se renversent, ne veulent pas avancer. Nous poussons en avant, tout fuit.
Le clé de la position, c'est le pont. Nous convergeons tous vers ce point. Nous arrivons sur le canal à travers une grêle de balles et de boulets. Leur artillerie et leurs tireurs sont postés de l'autre côté du canal et enfilent la route que nous suivons. Nous nous déployons alors pour deblayer l'autre rive par un feu suivi de tirailleurs. mais les tartares sont cachés dans les joncs touffus et élevés. Nous avons de la peine à les débusquer et eux, ils nous fusillent à bout portant, avec cette assurance des gens qui se sentent à l'abri de nos baïonnettes. Nous répondons solidement, et grâce à leur maladresse et à leurs mauvaises armes, nous n'éprouvons point de pertes. La providence a son but, c'est vraiment miraculeux.
Nous étions depuis 25 minutes à nous fusiller ainsi réciproquement, lorsque l'artillerie arrive. Elle envoie quelques obus sur la tête de pont. les balustrades en marbre volent en éclat. ce pont est superbe et d'une seule arche.
Le général Collineau arrive et nous crie : "A moi les chasseurs !". En un instant nous sommes à l'entrée du pont, avec une compagnie de grenadiers qui était à côté de nous. Le pont est franchi au pas de course, nous marchons sur les cadavres. Au milieu est étendu un chef tartare vêtu d'une robe jaune. On l'avait vu commander avec énergie quelques moments auparavant. Nous arrivons sur un village à notre gauche. A droite se trouve un immense camp de huttes et de tentes, puis des pièces d'artillerie dont nous nous emparons. Les joncs sont pleins de Tartares que nous tuons. Dans les rues du village, on en fait autant. Je me jette dans le camp des tentes où trois chinois me tirent dessus à bout portant. J'etrenne mon revolver sur deux de ces maladroits. Grâce à mon cheval je peux aller de l'avant. Nous finissons par tour nettoyer devant nous, nous sommes maîtres du village et du camp.
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Les alliés se trouvaient par la victoire de Palikao, maîtres de 17 canons, 10,000 kilogrammes de poudre et d'un nombre incalculable de bannières, parmi lesquelles celle du généralissime SanKo-Lit-Sin, prise par les chasseurs sur le pont de Palikao. Ils avaient eu à lutter contre une armée chinoise évaluée par le Sen-Wang lui-même à 60,000 hommes. Après la bataille, le général de Montauban passe au galop devant le front des troupes, qui l'acclament. Il arrive au 2e bataillon, qu'il félicite chaudement, puis, s'adressant aux 4e et 5e compagnies, qui ont été engagées toute la journée à l'avant-garde et qui ont marché les premières à l'assaut du pont: " Bravo! leur dit-il, vous m'avez conservé ma tête ! " Le bataillon n'a eu que six hommes blessés : les caporaux Bayon, Robert, Moustey, les chasseurs Dorbec et Roger, le clairon Ménessier. Sont cités pour leur conduite dans la journée : le commandant de la Poterie, les capitaines Comte (adjudant major), de Linière et Azières. Les lieutenants Ratier, de Bellune et Sabail. Les sous lieutenants Lagroua, Ambroise, Gallimard et Crezeunet. Les sergents majors Curicque et Arnoux ; les sergents Grévisse, Grazietti, Béhuc et Ragon. Les caporaux Baillou, Robert (blessés) ; les chasseurs Dorbec et Roger (blessés), Ayou, Lebrun, Agnel et Olméta. Le clairon Ménessier (blessé)

Capitaine Desportes de Linière
5e compagnie
promu commandant le 12/8/1861

Pierre Jean Menessier
Chasseur, blessé, décoré de la médaille militaire
"Très bon soldat, faisant toujours preuve d'entrain et de zèle"

Paul Louis Olmeta
Chasseur, blessé, décoré de la médaille militaire

Dans l'armée entière, les blessés n'étaient qu'une minorité insignifiante; les Chinois avaient laissé couchés sur le terrain un nombre de morts que nous évaluâmes à 1,000, mais qui, d'après les rapports chinois, s'élevait à 3,000 environ. Les alliés pénétrèrent dans le camp tartare.
" Les tentes, dit M. de Boissieu, semblaient attendre leurs hôtes du matin et dans quelques-unes on trouvait le dîner fait et servi. " Les hommes furent heureux de profiter de cette aubaine en attendant l'arrivée des convois. Ils restèrent installés dans le camp de Palikao jusqu'au 5 octobre. Nos quelques blessés et plusieurs fiévreux furent évacués sur Tien-Tsin; les approvisionnements furent complétés en vivres, munitions et effets de toute nature. L'armée tartare s'était dissipée, évanouie comme par enchantement. Une reconnaissance envoyée le 26 septembre, à 8 kilomètres en avant des lignes, releva la trace d'une armée en déroute, mais ne rencontra pas un soldat.

Le palais d'été (21 septembre)

Cependant, dès le lendemain de la bataille, des négociations avaient été engagées avec le prince Kong, frère de l'empereur. La diplomatie chinoise les faisait traîner en longueur; le prince refusait de s'expliquer sur le compte de nos prisonniers ; l'hiver approchait; le général de Montauban en redoutait l'extrême rigueur: " Il ne s'agit pas, disait-il, de renouveler ici, en petit, l'expérience de Moscou!" Tout se réunissait pour nous obliger à brusquer les choses en marchant sur Pékin.
L'armée leva le camp le 5 octobre et vint s'installer à quelques kilomètres de Pékin, du côté de la ville tartare, dans des fours à briques monumentaux, du sommet desquels les hommes aperçurent enfin cette ville fameuse. Ils purent contempler le développement de cette immense étendue de murs crénelés et compter par leurs saillies les innombrables portes qui donnent accès dans la vaste cité. Le lendemain, dès l'aube, on partit en colonne légère à la recherche des Tartares, que l'on supposait retranchés vis-à-vis de la face nord ou vers le côté ouest de la ville.
Dans une marche longue et pénible, les troupes n'aperçurent qu'un camp abandonné et une petite escouade de soldats chinois, faits prisonniers aussitôt. Leurs récits apprirent aux généraux que l'ennemi s'était retiré à Yuen-Min-Yuen, résidence du Fils du Ciel, afin d'y protéger la personne du souverain. Sur ces indications, l'itinéraire fut changé: l'armée tourna le dos à Pékin; le commandant Campenon, prenant un des prisonniers pour guide, fut chargé de conduire l'armée au Palais d'Été.
"Vers 7 heures du soir, écrit M. le sous-lieutenant de Boissieu, à la sortie d'un gros village, nous entrons subitement dans une route superbe parfaitement dallée et entretenue, ornée de beaux ponts, bordée de monuments et de jardins. Quelques instants après, nous campions devant le Palais d'Été, le Versailles de l'empereur de la Chine, et nous ne manquions que de quelques heures le monarque insaisissable, qui courait maintenant avec ses cavaliers sur la route de la Tartarie. "
A notre approche, un simulacre de défense fut esquissé par les gardiens chinois; deux officiers furent blessés ; mais nos troupes eurent facilement raison de cette insignifiante démonstration. L'entrée dans le palais fut remise au lendemain.
Le 7 octobre, l'armée put enfin contempler cette résidence féerique de la dynastie des Mings. On n'attend pas de nous la description de ces merveilles; contentons-nous de citer M. le comte d'Hérisson : "Il faudrait, dit-il, pour dépeindre les splendeurs qui s'offrirent à nos yeux, faire dissoudre dans de l'or liquide un spécimen de toutes les pierres précieuses connues et y tremper une plume de diamant qui aurait pour barbes les fantaisies d'un poète oriental élevé sur les genoux des fées et habitué à jouer tout enfant dans leurs trésors chimériques."
Après avoir visité dans tous ses détails la splendide résidence, le général fit placer des sentinelles à toutes les portes; une commission fut chargée d'inventorier tous les objets précieux et de mettre à part ceux qui devaient être offerts à LL. MM. Napoléon III et la reine Victoria. Un trésor fut découvert et la répartition en fut faite entre tous les soldats de l'expédition. Sur ces entrefaites, on apprit que les Chinois d'Haï-Tien, poussés par la cupidité et la haine de la dynastie mongole, s'étaient glissés nuitamment dans le parc et procédaient au pillage du palais, où ils avaient allumé un commencement d'incendie. Il y eut alors aux portes gardées une poussée irrésistible; les sentinelles furent enlevées; tout le monde entra, malgré les efforts des officiers, et fit main basse sur les objets d'art et les trésors. En un jour, tout fut enlevé, brisé ou souillé; ce qui ne put être pris ni emporté fut saccagé et mis en pièces. On circulait sur un fumier de soie, d'argent, de porcelaines, d'émaux et de tentures. On sortait de ces palais dévastés, fouillés, pillés, le coeur plein de tristesse, tant ce spectacle d'une ruine subite, succédant si tôt et si brutalement à la richesse et à la splendeur, était quelque chose de navrant. Aussi, à notre départ, fut-on presque heureux de voir l'incendie passer son niveau sur ce théâtre de nos vengeances. Un monceau de cendres était du moins un témoignage plus digne que cet affreux chaos.
Ces actes de vandalisme furent assurément regrettables; mais ils ont leur justification dans l'exaspération où se trouvaient nos soldats, par suite de la révélation du massacre de nos malheureux compatriotes, faits prisonniers au mépris du droit des gens. Au milieu de toutes les richesses du Palais d'Été, n'avait-on pas retrouvé les vêtements ensanglantés du colonel de Grandchamps, de MM. Anderson et de Norman? Les tortures sans nom infligées aux victimes criaient vengeance. Or comment espérer satisfaction d'un monarque invisible qui avait pris la fuite et refusait de traiter? Nous ne pouvions plus venger que par des ruines le sang odieusement répandu.

Entrée à Pékin (21 septembre)

L'armée quitta le Palais d'Été et vint camper, le 9 octobre, à 3 kilomètres de la face nord de Pékin. Cette ville, redoutant le sort de Yuen-Min-Yuen, nous restitua 11 de nos prisonniers : 6 vivants et 5 cadavres. Ces derniers, horriblement mutilés, portaient les marques des plus affreuses tortures; les survivants devaient conserver pendant toute leur vie la trace des supplices qu'ils avaient endurés. L'un d'eux, le chasseur Pelet, mourut fou le lendemain de son retour.
Le général de Montauban adressa au prince Kong une note catégorique, l'avertissant que les généraux alliés occuperaient la porte Ham-Ting, située devant nous, le 12 octobre à midi. Si cette porte était livrée de bonne volonté, il ne serait fait aucun mal aux habitants, et aucun soldat, à l'exception de l'escorte, n'entrerait dans la ville. Dans le cas contraire, on battrait les murs en brèche et on s'emparerait de vive force de la porte de Ham-Ting. La tranchée fut ouverte et les batteries de siège poussées jusqu'à 100 mètres des remparts. Le 13 octobre, la porte nous fut livrée. Un bataillon du 101e occupa les murailles. Le 2 bataillon vint camper à 600 mètres de la ville.
A la suite de 15 jours d'attente et de négociations, la paix fut enfin conclue.
Le baron Gros entra dans Pékin suivi d'une escorte brillante, dont le bataillon formait la tête le 25 octobre. La signature du traité eut lieu au palais des Rites et fut accompagnée de tout l'appareil possible. L'heureuse issue de la guerre et la conclusion du traité ne devaient pas faire oublier les victimes du guet-apens de Tong-Tché-Ou; l'indemnité stipulée pour leurs familles n'était qu'une satisfaction matérielle; il fallait les honorer par des funérailles imposantes et chrétiennes. Le lendemain on procéda à la réouverture solennelle de l'église catholique, laissée depuis de longues années dans un complet état d'abandon. Les soldats avaient rendu en quelques heures à la vieille basilique un peu de sa primitive splendeur. Un Te Deum fut chanté par M Mouly, évêque de Pékin, au milieu de nos soldats et de tous les chrétiens de la ville, rendus ainsi au libre exercice de leur culte.

Départ de Pékin - Retour à Shang-Hai

Le temps s'était mis au froid, les montagnes étaient déjà couvertes de neige; le général, qui redoutait l'éventualité d'un hivernage, donna l'ordre du départ. L'armée quitta Pékin le 1er novembre, traversa les champs de bataille des 18 et 21 septembre et arriva le 6 à Tien-Tsin. Le bataillon trouva ses cantonnements préparés à l'avance par M. le sous-lieutenant Martre. Son séjour dans la ville fut de courte durée et n'offrit d'intéressant qu'un violent incendie, éteint par les chasseurs de la 2e compagnie. Tandis que la 2e brigade restait à Tien-Tsin, le bataillon prit passage sur les canonnières et descendit le Pé-ho jusqu'aux forts de Ta-kou, en face desquels le Rhône nous attendait. Deux compagnies purent s'embarquer le jour même; la violence du vent força les autres à rester en rivière. Le 13, tout le monde était réuni à bord. Le 30 novembre, les hommes jetèrent un dernier regard sur ces tristes plaines du Pé-ho; le transport leva l'ancre et appareilla pour se rendre à Woosung. Après 5 jours de traversée, le bataillon fut débarqué à Shang-Haï. A peine arrivé à terre, M. le lieutenant de Roquefeuil dut entrer à l'hôpital, où il mourut deux mois plus tard. Le commandant de la Poterie trouva à Shanghai sa nomination de lieutenant-colonel au 101e de ligne. Ce n'est pas sans regret, dit-il dans son ordre d'adieu, que je me sépare de ce beau et brave bataillon; mais c'est du moins une consolation pour moi d'en laisser le commandement à un digne chef, M. Comte, depuis sept ans capitaine au bataillon, qui saura toujours maintenir et augmenter sa belle réputation. La campagne de Chine était terminée. " Une petite armée forte de résolution et parée à tous les périls et à toutes les privations, marchant à l'inconnu, sous les ordres d'un chef habile et entreprenant, venait de porter à 6,000 lieues de la patrie nos aigles victorieuse'. "

 

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