Le 3e régiment de Zouaves à Palestro - 31/5/1859


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Extrait de l'historique du 3e régiment de Zouaves (Marjoulet)

Le 31 mai, à 6 heures du matin, le colonel de Chabron marche sur Palestro, que le roi Victor-Emmanuel, dans une vigoureuse attaque, venait d'enlever aux Autrichiens. Palestro, village assez considérable sur la route de Verceil à Mortara par Bobbio, est surtout important par sa position topographique. Situé sur un plateau, il commande toutes les communications entre Novare et Mortara. C'était, pour les Autrichiens qui occupaient cette ligne, un excellent poste d'observation qu'ils avaient renforcé par des ouvrages de campagne. La plaine qui entoure le village est couverte de rizières et coupée par de longs et profonds canaux d'irrigation. Le 30 mai, les Piémontais enlevaient ce poste aux Autrichiens; mais, résolus à reprendre cette position importante, ceux-ci se préparent, dans la soirée, à livrer bataille le lendemain 31 mai.
Le 3 e zouaves, mis à la disposition du roi Victor-Emmanuel, arrive à Palestro, à 9 heures du matin, et campe au Sud du village, en arrière d'un canal qui le sépare des Piémontais ; il est à peine installé que l'attaque des Autrichiens se prononce par les routes de Bobbio et de Rosasco, sur le front et la droite de la petite armée piémontaise. .


Le colonel de Chabron fait aussitôt abattre les tentes, prendre les armes et dirige le régiment en colonne vers le pont de la Bridda, où le feu paraissait le plus vif. Les Autrichiens, établis sur le plateau qui domine la vallée de la Sésia de 15 à 29 mètres, menaçaient de tourner les Piémontais par leur droite et de les prendre à revers. Une batterie avait ouvert le feu, ses boulets tombaient déjà dans nos rangs, la fusillade éclatait de toutes parts. Le colonel fait poser les sacs, mettre baïonnette au canon, battre et sonner la charge. Au cri de : " En avant! " répété par tous, il lance le régiment au pas de course sur la batterie ; quatre compagnies déployées en tirailleurs, dans les blés, couvrent la colonne, qu'un canal large et profond, courant au pied du plateau, sépare de la batterie. Les bords du canal sont plantés de saules et de peupliers ; en quelques endroits, les berges élevées sont couvertes de taillis d'acacias dans lesquels sont embusqués de nombreux tirailleurs ennemis.
La colonne, au pas de course, s'engage au milieu des rizières, longe ce canal infranchissable ; tout le monde se sent poussé d'instinct vers la batterie, et chacun cherche un passage pour l'aborder facilement. La mitraille et la mousqueterie éclaircissent nos rangs ; des chasseurs tyroliens, embusqués derrière les arbres de l'autre rive, augmentent encore, par la précision de leur tir, les ravages de l'artillerie.
Le capitaine adjudant-major Drut, du 2e bataillon, est tué à deux pas du commandant Bocher. Un boulet emporte la tète de son cheval et frappe le capitaine en pleine poitrine. Le capitaine Sicard, les lieutenants Dautun et Léger sont blessés grièvement ; beaucoup de zouaves sont frappés à mort. On court ainsi, sans tirer, pendant 500 mètres. Rien n'arrête l'élan des zouaves. " En avant ! en avant ! " tel est le cri qui sort de toutes les poitrines.
Tout à coup, les berges du canal s'abaissent; le terrain, piétiné, indique un gué. Les zouaves se jettent dans le canal, la carabine haute, le traversent ayant de l'eau jusqu'à la ceinture et gravissent la rive opposée. On est un peu abrité par le terrain ; la mitraille passe au-dessus des tètes, et nos tirailleurs, ruisselants d'eau, débouchent, pleins d'ardeur, sur le plateau, à 100 mètres de la batterie.
Le capitaine Parguez, les sous-lieutenants Couturier et Cervoni arrivent les premiers sur la position. Les Autrichiens veulent recharger leurs pièces, ils ne le peuvent plus. On tombe dans la batterie à la baïonnette. Les servants sont tués ou faits prisonniers ; les troupes de soutien prennent la fuite. Les cinq pièces de la batterie restent en notre pouvoir.

Frédéric Benoit Japy

Saint Cyrien, entré au 3e régiment de Zouaves en 1850 avec lequel il a fait campagne en Algerie et en Crimée.
Il est adjudant major du 3e bataillon lors de la campagne d'Italie.

De Verceil, nous avons été à un petit village dont je ne me rappelle plus le nom, et ce matin nous sommes arrivés à Palestro. Nous étions à déjeùner à neuf heures lorsque la division piémontaise, qui avait pris Palestro la veille, à été attaquée. De suite on nous envoie à son secours sur la droite où elle était débordée. Là, le régiment été réuni tout entier dans les blés, il a laissé les Autrichiens avancer assez près, puis a fait une charge furieuse à la baïonnette, en leur faisant repasser deux rivières, en prenant 9 pièces de canon, 700 prisonniers : tout cela a été l'affaire de deux heures. C'est superbe pour le régiment ! ! ! L'Empereur en personne (que l'on voit du reste partout où il le faut), l'Empereur, dis-je, et le roi Victor Emmanuel, nous ont témoigné leur profonde admiration. Les Autrichiens ont été tellement étourdis de notre charge, que nous avons pris leurs canons sans presque aucune résistance. Ton fils est arrivé en tête sur les canons ; il espère avoir au moins la croix de Victor Emmanuel. Je suis content de ma journée : le bataillon était en tête de colonne et a souffert plus que les autres. Nous avons eu 140 blessés dont 100 ont des blessures sérieuses sinon graves, qui les font entrer à l'ambulance. Je suis très fier d'avoir pris un peu d'artillerie à moi tout seul.

("Lettres d'un officier à sa mère" - Gl Japy)

 

 

Ce n'était là cependant que le premier acte de la bataille. Trois compagnies du 1er bataillon (commandant Dumoulin) se jettent à gauche, vers la cascina San-Pietro, pour donner la main aux Pièmontais.
Le 3e bataillon (commandant de Briche), suivi du 2e (commandant Bocher) et du restant du 1er, se porte à droite, au pont de la Bridda, solidement occupé et en arrière duquel on aperçoit une forte colonne.
Ce pont est défendu, en avant, par un moulin crénelé et garni de tirailleurs : sur la gauche, coule un canal profond bordé de taillis d'acacias. Deux pièces sont en batterie près du pont ; la charge sonne encore, le cri : " En avant! " se fait entendre de nouveau et, d'un bond, la colonne arrive à l'entrée du pont, au milieu des Autrichiens qui combattaient vigoureusement. Les deux pièces de canon sont enlevées ; les défenseurs du moulin abandonnent leurs créneaux et leurs fenêtres, se précipitent vers le pont et, le trouvant encombré, se jettent dans le canal. La plupart d'entre eux sont emportés par le courant et s'y noient; quelques rares nageurs parviennent à gagner la rive opposée; d'autres sont sauvés par les zouaves qui leur tendent une main généreuse.
Une nouvelle colonne ennemie arrive par la route de Rosasco. Le pont est encombré de cadavres, on ne peut le franchir qu'à la file. Nos zouaves se précipitent, comme un torrent, au milieu des morts et des blessés. Le pont est enlevé et l'ennemi abordé à la baïonnette. Le commandant de Briche est en tête. Le sous-lieutenant Henry, porte-drapeau, chasse les fuyards à coups de hampe, et trace la marche ; il tombe, le genou fracassé par un balle que lui tire à bout portant un blessé autrichien. Le sergent Lafont prend l'aigle, fait quelques pas et tombe à son tour. Le poste est dangereux et la mitraille déchire les plis du drapeau. Le sous-lieutenant Souvervie le reçoit des mains d'un sous-officier blessé et le relève pour la sixième fois. Le sous-lieutenant Goule, la poitrine traversée d'une balle, anime encore ses soldats d'une voix défaillante. Le sous-lieutenant Couturier lutte corps à corps avec des officiers autrichiens qu'il désarme : il quitte la mêlée, la main brisée par une balle.
L'élan est irrésistible ; les Autrichiens commencent à plier, les zouaves redoublent d'ardeur et bientôt l'ennemi abandonne la position et se retire en désordre par la route de Rosasco, nous laissant encore deux canons.

Alexis Louis Joseph Hubert de la Hayerie
Capitaine au 3e zouaves
a un cheval tué sous lui à Palestro

Guillaume Edmond Laroche
caporal
Blessé d'un coup de feu à la jambe gauche

Louis Alfred Bocher
commandant

Lieutenant Hervé
3e bataillon
Futur général sour la République

Sous Lieutenant Lanes
2e bataillon
Futur général sour la République

Capitaine Jeanningros
capitaine au 2e bataillon
Heros de la légion au Mexique

Sur notre gauche, les Piémontais, qui luttaient depuis le matin, avaient repoussé également les attaques des Autrichiens contre le village de Palestro. Les trois compagnies que le commandant Dumoulin avait lancé sur la cascina San-Pietro culbutent l'ennemi, le poursuivent et opèrent leur jonction avec le colonel au-delà du pont de la Bridda.
Cependant, quelques hommes de la colonne principale, emportés par leur élan, avaient dépassé les positions sur lesquelles le commandant de Briche s'était arrêté. Les Autrichiens s'aperçoivent de leur petit nombre, prononcent un retour offensif qui nous fait subir quelques pertes. Le lieutenant Jarrié est grièvement blessé au milieu de ses tirailleurs. L'arrivée au pas gymnastique des compagnies Boistard, Jarrige et de Franchessin, sous les ordres du commandant Dumoulin, arrête l'ennemi et le tient à distance.

François Marie Alfred Dumoulin
Commande le 2e bataillon
Promu Lieutenant Colonel

Ernest de Franchessin
Promu Chef de bataillon
tué en 1870


Ce fut le dernier épisode d cette glorieuse journée qui coûtait au régiment 1 officier et 47 hommes tués, 15 officiers et 218 hommes blessés, 8 disparus, probablement dans le canal. Plus de 8.000 hommes de la division Jellachich avaient été engagés contre les 2,600 hommes du 3e zouaves, qui ramenaient comme trophées 9 pièces de canon et plus de 500 prisonniers. Le combat, complètement terminé à 2 heures, avait duré plus de quatre heures.

Le commandant de Briche et le capitaine Simon étaient promus officiers de la Légion d'honneur et, parmi les nouveaux chevaliers, nous relevons les noms de 10 sergents, 3 caporaux et 19 zouaves. .

   

Colonel Marie Etienne Emmanuel Bertrand de Chabron

Commandant le 3e régiment de Zouaves, "Vigoureux officier, d'un esprit très sage, très sérieux et très décidé"

Durant l'engagement, un des officiers autrichiens qui défendaient le moulin, voyant le colonel de Chabron à l'entrée du pont, vient lui remettre son sabre. " Gardez votre épée, lui dit le colonel, nous avons l'habitude de laisser les armes à ceux qui savent si bien s'en servir ", et il le fait conduire par un officier au quartier général (Historique du 3e régimnt de zouaves). .

Le soir de la bataille, le régiment est rassemblé à la Bridda. L'Empereur serre la main du colonel de Chabron en lui disant : " C'est très bien, colonel, vous avez dignement soutenu votre vieille réputation. " Le lendemain, 1 er juin, le 3 e zouaves était mis à l'ordre de l'armée d'Italie. .

Quelques jours plus tard, de Chabron reçoit une lettre personnel du souverain du Piemont

Du quartier général principal, Torrione, le 1er juin 1859.
Monsieur le colonel, L'Empereur, en plaçant sous mes ordres le 3e régiment de zouaves, m'a donné un précieux témoignage d'amitié. J'ai pensé que je ne pouvais mieux accueillir cette troupe d'élite qu'en lui fournissant immédiatement l'occasion d'ajouter un nouvel exploit à ceux qui, sur les champs de bataille d'Afrique et de Crimée, ont rendu si redoutable à l'ennemi le nom de zouaves. L'élan irrésistible avec lequel votre régiment, monsieur le colonel, a marché hier à l'attaque, a excité toute mon admiration. Se jeter sur l'ennemi à la baïonnette, s'emparer d'une batterie en bravant la mitraille, a été l'affaire de quelques instants. Vous devez être fier de commander à de pareils soldats, et ils doivent être heureux d'obéir à un chef tel que vous. J'apprécie vivement la pensée qu'ont eue vos zouaves de conduire à mon quartier général les pièces d'artillerie prises aux Autrichiens, et je vous prie de les remercier de ma part. Je m'empresserai d'envoyer ce beau trophée à Sa Majesté l'Empereur, auquel j'ai déjà fait connaître la bravoure incomparable avec laquelle votre régiment s'est battu hier à Palestro, et a soutenu mon extrême droite. Je serai toujours très-satisfait de voir le 3e régiment de zouaves combattre à côté de mes soldats, et cueillir de nouveaux lauriers sur les champs de bataille qui nous attendent. Veuillez, monsieur le colonel, faire connaître ces sentiments à vos zouaves.
VICTOR-EMMANUEL
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