L'enlèvement du maréchal Bazaine à Rezonville

16/8/1870

Les historiens ont beaucoup reproché au maréchal Bazaine de ne pas avoir commandé son armée à Rezonville, de n'avoir donné aucune impulsion à ses subordonnés, et s'être borné à ne s'occuper que de points de détail, intervenant en première ligne au mépris du danger, pour replacer un régiment ou orienter le tir d'une batterie d'artillerie. Si son courage personnel n'a jamais été mis en cause, cette etrange comportement a nui au commandement supérieur des troupes.

L'incident suivant, relaté par Dick de Lonlay dans son ouvrage "Français et Allemands", illustre comment il fut près de perdre la vie ou d'être capturé par l'ennemi, ce qui aurait pu peut être sauver l'armée du desastre ; encore que ses remplaçants potentiels au sein de l'armée, n'aient pas beaucoup plus brillé que lui dans leur commandements.

L'épisode se passe juste après la charge des cuirassiers de la garde pour soulager le 2e corps d'armée en retraite après la prise de Flavigny par les Prussiens.


Pendant cette attaque de notre cavalerie, les 11e et 17e régiments de houzards allemands, commandés par le général von Redern (13e brigade, 5e division de cavalerie), se tenaient appuyés au hameau alors en flammes de Flavigny. Le chef d'état-major général du Xe corps, qui se trouve avec eux, a suivi les péripéties des charges de nos lanciers et cuirassiers; sur son invitation, les deux régiments (quatre escadrons du 11e hussards et trois escadrons du 17e) sont lancés à la poursuite des cuirassiers de la garde. Ces derniers, dans leur charge impétueuse sur l'infanterie allemande, dans la direction de Chambly d'abord, puis de Flavigny ensuite ont été en butte aux projectiles de l'ennemi qui couvraient toute la plaine.

Le général Desvaux, sur l'ordre du maréchal Bazaine, a désigné la 2e batterie à cheval de la réserve de la garde sous les ordres du capitaine Donop et qui est attachée à sa division, pour appuyer la charge des cuirassiers et arrêter l'ennemi. Elle est portée immédiatement en avant, sans troupes de soutien, sur les chemins allant de Bruxières et de Flavigny à Rézonville. Au moment où elle va ouvrir son feu contre une batterie prussienne, qui tire sur la charge ramenée des cuirassiers de la garde, elle est aperçue par deux escadrons de houzards prussiens coiffés du kolback à haute aigrette et flamme rouge et portant l’altila (dolman) marron à tresses jaunes, à rosettes de cuivre et serré à la taille par une ceinture en cuir rouge, qui se jettent sur nos pièces en poussant des hourras retentissants. Ce sont des houzards du 17e régiment de Brunswick,

Le maréchal Bazaine, qui a lui-même amené cette batterie en position, se trouve entouré d'une centaine d'officiers au milieu des pièces de la garde sur lesquelles les obus allemands commencent à tomber. Lui-même a failli être emporté par un de ces projectiles qui éclate sous le ventre de son cheval et disperse son état-major. A ce moment, nos cuirassiers sont ramenés par les houzards ennemis. On entend le bruit des chevaux qui courent ventre à terre. Tous ces cavaliers tourbillonnent ensemble en échangeant de grands coups de latte et de bancal. Le maréchal s'efforce en vain de distinguer nos cavaliers, cachés, ainsi que les Allemands, par des nuages de fumée. Tout à coup la terre semble trembler et une masse compacte de houzards brunswickois, chargeant en flanc, tombent, pour ainsi dire, au milieu de nos pièces et de l'état-major du maréchal.

François Achille Bazaine,

Né le 13/02/1811 à Versailles, officier sorti du rang, Bazaine s'est d'abord brillament illustré sur tous les champs de bataille comme officier subalterne, puis supérieur : Algérie, Crimée, puis Italie. C'est lorsqu'il s'est retrouvé investi de commandement importants, au Mexique, puis surtout en 1870, qu'il a révélé les faiblesses de son caractère et les lacunes de son commandement.

Maréchal de France depuis 1864, il est investi par l'Empereur au commandement de l'armée du Rhin lorsque ce dernier quitte l'armée pour rejoindre la camp de Chalons.

Il va alors enchaîner les fautes de commandement échouer à Rezonville, puis perdre la bataille de Saint Privat avant de se retrouver enfermé à Metz avec son armée et capituler en octobre.

 

   

Dans l'une de nos demi-batteries, la retraite peut être effectuée assez promptement, mais les trois pièces de la demi-batterie de gauche, qui viennent à peine d'être mises en position, sont surprises avant de pouvoir faire feu. Les servants étant remontés à cheval, afin de faire le coup de sabre, au moment où les avant-trains sont disposés pour recevoir leurs pièces, ces avant-trains partent seuls et les trois canons restent, pendant quelque temps, au pouvoir des Brunswickois, qui sabrent servants et conducteurs sur leurs chevaux. Ces braves canonniers résistent héroïquement contre la masse de cavaliers qui les entourent ; la plupart sont heureusement préservés des grands coups de taille des Allemands par leurs kolbacks en peau de phoque et les tresses écarlates épaisses et serrées de leurs dolmans. Le lieutenant d'Esparbès de Lussan, qui commande cette section de gauche, est chargé par un groupe de houzards marrons. Il les attend tranquillement, et là, à bout portant, il en descend quatre avec son revolver, sans se presser, méthodiquement, comme s'il tirait à la poupée chez Gastine-Renette. Mais bientôt il est entouré, et tombe mortellement blessé, haché de coups de sabre. En voulant le défendre, son adjudant est grièvement atteint; deux brigadiers, trois canonniers sont blessés : dix chevaux sont tués, dont six appartenant aux avant-trains des pièces qu'on est obligé d'abandonner sur le terrain. Une batterie de la réserve du 2e corps, la 10e du 15e régiment d'artillerie, qui s'est portée auprès de la batterie de la garde et tire sur Vionville, est traversée également par quelques-uns de ces houzards brunswickois. Le lieutenant en premier Chapert est légèrement blessé à la tête d'un coup de taille, mais le cavalier qui l'a frappé est tué d'un violent coup de pointe par le canonnier Grunenwald. Cette batterie, qui, dans cette échauffourée, a eu son lieutenant en premier Chapert, le maréchal des logis Picart et six hommes blessés, se retire ensuite sur le plateau de l'autre côté de la route de Verdun et n'est plus engagée de la journée.

Dans cette charge violente, les états-majors du maréchal Bazaine et du général Frossard sont entourés et bousculés ; tous ces officiers sont obligés de mettre l'épée à la main et chargent les houzards ennemis avec la plus grande intrépidité. Une véritable mêlée s'engage entre les états-majors français et les cavaliers allemands. Le lieutenant-colonel Gaillard, sous chef de l'état-major général de notre 2e corps, fait preuve d'une grande vigueur en s'élançant sur les assaillants. Il vient de s'emparer de sa propre main d'un houzard brunswickois, lorsqu'il reçoit d'un officier, au dolman marron soutaché de tresses d'or, un violent coup de sabre sur la tête qui le blesse grièvement. Bien qu'ayant le front coupé par une profonde balafre et à moitié aveuglé par son sang, qui coule abondamment, ce vaillant officier a encore la force de crever la poitrine de son adversaire d'un coup d'épée. Le maréchal Bazaine, qui, calme et tranquille, regarde froidement ce combat homérique et a mis lui-même l'épée à la main, est entrainé dans la fuite des attelages d'artillerie, et se trouve, durant quelques minutes, dans le plus extrême danger; le commandant en chef de notre armée, la tête cachée par un couvre nuque blanc chevauche un moment côte à côte avec un officier prussien, qui ne le connaît pas; finalement il est recueilli par le 3e bataillon de chasseurs, qui est accouru au pas gymnastique, au bruit de la fusillade.

Comme nous l'avons déjà dit, trois pièces de l'artillerie de la garde sont restées sur le terrain ; les houzards brunswickois vont y atteler leurs propres chevaux afin de les entraîner, quand surviennent au galop les deux escadrons d'escorte du maréchal Bazaine (5e du 5e hussards et 1er du 2e chasseurs), qui se trouvaient à une cinquantaine de mètres en arrière; ils ont vu le danger et arrivent au galop sur les intrus.

Le 5e escadron du 5e hussards avait fourni, le 16 août au matin, trente chevaux aux escortes; il ne lui restait que soixante-quinze sabres. Vers une heure, cet escadron était en première ligne, à trois cents mètres environ à hauteur et à gauche de Rézonville. La situation sur ce point, nous l'avons déjà dit, était des plus critiques Les cuirassiers de la garde venaient de charger des carrés intacts et avaient été très éprouvés. Trois pièces d'artillerie de la garde, placées à cinquante mètres en avant de l'escadron du 5e hussards, venaient d'être abandonnées par les derniers servants. Deux escadrons de houzards de Brunswick fondent sur elles pour s'en emparer. A ce moment, le maréchal Bazaine, comme on l'a vu, est sérieusement compromis. Il se trouve un peu à gauche de son escadron d'escorte et est entouré par les houzards marrons. En même temps, arrivent en flanc cinq autres escadrons de houzards allemands dont quatre portent l'attila vert à tresses blanches du régiment de cette arme. Une dizaine de ces derniers dépassent même l'escadron d'escorte, vers lequel un officier d'état-major du maréchal Bazaine accourt à fond de train, en criant : « En avant les hussards ! Aux canons ! » Malgré le petit nombre de ses cavaliers, le 5e escadron part à la charge, sabrant avec fureur et balayant tout devant lui. En tête, les officiers, coiffés du kolback noir et vêtus du dolman bleu foncé à tresses noires ainsi que du pantalon garance à bande d'argent. Citons le capitaine-commandant des Courtis, le capitaine adjudant-major Marchant, les capitaines en second Guillouzic et Chaverondier, les lieutenants Albouy, Berguemann; les sous-lieutenants Toudy, Senez, Provost, de Broglie, le vétérinaire Compariol. Une furieuse mêlée s'engage entre les hussards des deux nations. Les nôtres, au dolman bleu foncé à tresses blanches, courbés sur la selle, envoient de formidables coups de pointe, tandis que les Allemands, en attilas verts et marrons, debout sur les étriers frappent à tour de bras de leurs grands sabres recourbés. Le capitaine-commandant des Courtis a son cheval tué sous lui et est fait prisonnier. Le capitaine adjudant-major Marchant vide les arçons, mortellement atteint d'un coup de mousqueton Dreyse. Le capitaine Chaverondier a la mâchoire fracassée par une balle.

   

François Marie Chaverondier

Né le 29/9/1831 à StGermain du Val (Loire), officier sorti du rang, cavalier talentueux, il a servi comme écuyer à l'école de cavalerie de Saumur.

Capitaine le 26/12/1868, durant la première partie de la guerre de 1870, il sert au 5e Hussard, dans l'escadron d'escorte du maréchal Bazaine.

Gravement blessé à la machoire par un coup de feu, il pose ici quelques mois après la fin de la guerre avec deux distinctions reçues durant le conflit : la croix de chevalier de la Légion d'Honneur et... la barbe, désormais portée pour cacher sa cicatrice.

Il finit sa carrière comme Colonel du 8e régiment de chasseurs. Il est mort en 1909, officier de la Légion d'Honneur.

Photo Mulnier (Paris)

Le maréchal des logis-chef de la Fougère, blessé de deux coups de sabre, a son cheval tué et tombe prisonnier au milieu d'un gros de houzards de Brunswick, ainsi que le brigadier Lecone et le hussard Siméon. Les Allemands ne peuvent se rendre maîtres de ce dernier qu'après l'avoir blessé de onze coups de sabre. Le brigadier-fourrier Follenfant est frappé à mort; neuf hussards sont tués, quatorze blessés ; vingt-huit chevaux sont tués. Le capitaine Guillouzic prend alors le commandement des hussards survivants et continue à pointer les Allemands de plus belle; le maréchal des logis Gras se distingue par sa bravoure, ainsi que le trompette Godefroy, qui a son cheval tué sous lui. Enfin, la gauche de l'escadron parvient à dégager les trois pièces de la garde et repousse les assaillants. Malgré les pertes sensibles éprouvées ce jour-là par l'escadron du 5e hussards, son faible effectif (d'après l'avis même des officiers faits prisonniers ce jour-là) l'a sauvé, en détournant de lui l'attention de la division de cavalerie allemande, qui se tenait en observation au point d'où la brigade de houzards de Redern était partie à la charge.

Le second escadron d'escorte du maréchal Bazaine (1er du 2e chasseurs) a pris lui aussi une part brillante à cette mêlée de cavalerie. Au milieu du désordre causé par la batterie Donop, qui se retirait au galop, les chasseurs de France ont vu arriver sur eux, au galop, les dolmans (atillas) verts à tresses blanches des houzards prussiens du 11e régiment; mais le capitaine Danloux, prévenant leur attaque, se tourne vers son escadron. « Au galop! Chargez! » s'écrie-t-il d'une voix vibrante. Les deux cavaleries se heurtent à toute allure. Le choc est terrible : des deux côtés, des chevaux et des cavaliers roulent à terre. Surpris de cette rude attaque, à laquelle ils ne semblaient pas s'attendre, les cavaliers ennemis ne tiennent pas. Après un court combat à l'arme blanche, le 1er escadron du 2e chasseurs les met en fuite, après leur avoir démonté un certain nombre de houzards et pris plusieurs chevaux.

Joseph Arthur Danloux

Né le 19/1/1826 à Paris, Danloux sort du rang. Il sert au 2e régiment de chasseurs depuis plus de vingt ans.

Il a fait la campagne d'Italie comme officier d'ordonnance du général Vinoy et est Capitaine depuis le 10/5/1859. Il pose ici en grande tenue.

Au déclanchement de la guerre de 70, il commande le 1er escadron qui sert d'escorte au maréchal Bazaine. Lors de la bataille de Rezonville, son escadron a l'occasion de s'illustrer à deux reprises. Une premiere fois en portant secours au maréchal Bazaine attaqué par le 11e régiment de hussards prussien. Puis une seconde fois lors de la contre charge sur la brigade Bredow.

Cette belle attitude lui vaut de grade de Chef d'escadrons le 24/8/1870.

Après la guerre, Danloux sera promu Colonel au 6e régiment de Hussards. Retraité en 1885, il est mort en novembre 1892.

Photo Prévot (Paris)

   

Le 3e escadron du 4e chasseurs, qui sert d'escorte au général Frossard, placé plus en arrière des deux escadrons du maréchal Bazaine, ne peut arriver qu'à la fin de cette échauffourée, mais il a encore le temps de sabrer ou de faire prisonniers quelques houzards verts.

Enfin, la fusillade du 3e bataillon de chasseurs à pied, qui-est accouru en toute hâte, en voyant le danger que courent nos états-majors, repousse les cavaliers allemands, que nos trois escadrons poursuivent et sabrent à outrance. Beaucoup de houzards westphaliens et brunswickois gisent éventrés sur place. Les survivants sont vigoureusement ramenés jusque sur les têtes de colonne de la 6e division de cavalerie allemande, qui s'avance alors.

Dans cette lutte, le maréchal Bazaine est séparé de son état major, qui se retire à Gravelotte avec le général Jarras. Le général Frossard doit mettre deux officiers de son état-major à la disposition du commandant en chef de notre armée.

Presque au début de cet engagement, les 3e et 5e escadrons du 3e lanciers (capitaines-commandants Urquette et Brulin ; capitaines en second Rey et Bruley; lieutenants Caillemer, Mathieu, d'Andrée; sous-lieutenants Dupressoir, et de Rougé), ont d'abord été entraînés par le chef d'escadrons Doridant et le capitaine adjudant-major Chelin; bientôt ils se trouvent sans guides et chargent dans le vide. Avec un rare sang-froid, le capitaine Brulin parvient à se faire entendre de ces deux escadrons égares et qui allaient être pris en flanc par l'artillerie et les carrés ennemis ; il les arrête, leur fait exécuter un demi-tour par pelotons et les ramène au pas dans le plus grand ordre. Grâce à l'initiative, à la fermeté et à la présence d'esprit de cet homme de coeur, la moitié du 3e lanciers vient peut-être d'échapper à un terrible désastre. Ces escadrons longent la route de Vionville à Rézonville, lorsqu'un officier supérieur de l'état-major du maréchal Bazaine, nu-tète, couvert de sang, l'épée à la main, arrive au galop et crie : « Au secours les lanciers! Le maréchal est enlevé! » Entraînés par leurs officiers, les lanciers abaissent aussitôt leurs lances, partent au train de charge et rencontrent l'escadron d'escorte du 5e hussards, qui vient de faire payer chèrement aux houzards de Brunswick leur audacieuse tentative. Un officier de ces houzards, égaré, se jette, au même instant, dans les rangs de nos lanciers, qu'il prend sans doute pour des uhlans, Sa méprise est sur le point de lui être funeste, car il est vigoureusement poursuivi par quelques officiers du 3e lanciers et ne doit son salut qu'aux jambes d'acier du superbe alezan qui le porte. Après ce dernier épisode, les 3e et 4e escadrons vont rallier le reste de leur régiment à hauteur de Rézonville.

      

Eugène Charles Robert de Rougé

Saint Cyrien de la promotion du Sultan, Eugène de Rougé est nommé Sous Lieutenant le 1/10/1868 au 3e régiment de lanciers.

A Rezonville, il participe à la charge de son régiment, simultanément à celle des cuirassiers de la garde.

Quelques instants plus tard, lors de l'épisode de la charge de la brigade Redern, Bazaine, commandant en chef de l'armée, se trouve subitement entouré d'ennemis. Germain Bapst raconte : " Dans la fumée et la poussière, au milieu des coups de revolver qui s'échangeaient en pleine figure, le maréchal Bazaine était demeuré flegmatique et insouciant, sans chercher à échapper au flot des Allemands qui pouvaient le tuer sans savoir qui il était, ou bien le faire prisonnier. A un moment, il se trouva heurté par un jeune sous-lieutenant du 3° lanciers, M. Robert de Rougé, qui demeura collé botte à botte avec lui. Le voyant fort ému « Allons, jeune homme, lui dit-il, sur le ton d'un père de famille, s'adressant au coin de son feu à son fils, du calme. Voyons, vous n'êtes plus un enfant. Ce n'est rien. » Et il allait au pas dans la bourrasque, presque souriant. Les Allemands disparus, il se trouva séparé de tous les siens."

De Rougé capitule avec son régiment à Metz. Après la guerre, il rejoint le 15e régiment de Dragons avec son grade. Il quitte l'armée en 1873 comme Lieutenant.

Il est mort en 1916.

A la suite de cet engagement de cavalerie, la plaine entre Flavigny et Rézonville est dégagée pour un moment. Quand la fumée et la poussière se sont élevées et évanouies, on aperçoit des amoncellements de cadavres de chevaux et de cavaliers aux uniformes variés : houzards de Brunswick et de Westphalie aux attilas marrons et verts; chasseurs de France à la veste verte; hussards du 5e régiment au dolman bleu foncé à tresses blanches ; artilleurs de la garde, à l'uniforme noir et garance ; cuirassiers de la garde, dont le soleil, qui darde ses rayons ardents sur le champ de bataille, fait resplendir les cuirasses, en se reflétant dans ces miroirs d'acier. Quelques houzards allemands poursuivis la pointe de nos cavaliers dans les reins et couchés sur l'encolure de leurs chevaux retournent vers Flavigny. Une poignée de cuirassiers de la garde rallie notre ligne de bataille. Plusieurs chevaux abandonnés d'artillerie et de cavalerie françaises se rapprochent de  Rézonville.

Le reste de la 2e batterie du régiment à cheval d'artillerie de la garde s'est replié en bon ordre et est venu se placer à la gauche de la 1ere batterie (capitaines Forqueray et Marsillon) , qui, envoyée en reconnaissance autour du bois de Vaux, garde les débouchés du bois des Ognons. Ces deux batteries, une fois réunies, lancent quelques projectiles qui suffisent à arrêter les colonnes prussiennes, lesquelles cherchent à sortir du bois, pour tourner notre gauche. Quant aux trois pièces de la demi-batterie de gauche de la 2e batterie, qui étaient restées abandonnées sur le terrain, on les crut d'abord tombées au pouvoir de l'ennemi. Ce n'est que le lendemain ou le surlendemain que l'officier envoyé à l'arsenal de Metz pour y chercher de nouvelles pièces apprit que les canons compromis à la bataille de Rézonville, avaient été conduits à l'arsenal et les reçut des mains du directeur de cet établissement que les canons avaient été ramenés pendant l'action par des canonniers du 18e d'artillerie (réserve générale de l'armée) et par des chasseurs à pied du 3e bataillon.

[…]

L'échauffourée dans laquelle le maréchal Bazaine a failli être enlevé par les houzards de Brunswick s'est passée à cinq cents mètres à peine du 55e régiment d’infanterie. A ce moment passe au petit galop, près du colonel de Waldner-Freundstein, le colonel Tiersonnier, de l'état-major général, qui, s'adressant au commandant du 55e, lui crie en passant : « Au moins nous avons un homme. Il faut voir comme il a été chargé.
- Qui ça? interroge le colonel de Waldner-Freundstein.
- Eh ! le maréchal, par Dieu !
- Que faisait-il donc ici? Franchement, c'est notre place, mais ce n'est pas la sienne.
- Ah ! mon cher! ! !
et, levant le bras, le colonel Tiersonnier continue au galop vers Rézonville.
Arrive ensuite un général avec des aiguillettes.
- Mon général, lui dit le colonel du 55e, vous appartenez sans doute à l'état-major général, il est bon que vous sachiez que nous avons besoin d'être soutenus particulièrement à droite. Nous fléchissons ; voyez tout ce qu'il me reste ici. Le régiment tiraille contre le bois. Qui commande ici?
- Ma foi, à vous dire vrai, je
n'en sais rien. Le maréchal vient d'être enlevé.
- Le maréchal ? Sur la ligne des tirailleurs ? Eh bien ! c'est du bel ouvrage ! ! ! A qui ai-je l'honneur de parler ?
- Général Jarras, chef de l'état-major général.
- Mon général, le maréchal Canrobert, auquel revient le commandement, doit être à droite de la route de Verdun, à hauteur de Rézonville, un peu en avant. Il est nécessaire de le prévenir
. » Le général Jarras pique aussitôt des deux dans cette direction.

Le colonel de Waldner-Freundstein cache à ses hommes, tant que cela lui est possible, la disparition du maréchal Bazaine, que lui-même n'a apprise que par la rencontre fortuite du générai Jarras. Le feu continue sur toute la ligne. Les réserves de droite du 55e de ligne ont été engagées; elles sont en retraite, dans un certain désordre, sur Rézonville ; ce sont elles qu'ont rencontrées le colonel Tiersonnier et le général Jarras. L'autre portion du 55e tient toujours la lisière du bois de Vionville en avant de la Maison-Blanche. Elle est commandée par un vigoureux officier, le commandant Millot, qui a fait toute sa carrière militaire au 1er tirailleurs, et qu'après la conquête de la grande Kabylie le maréchal Randon a félicité devant son régiment et proposé pour la Légion d'honneur. Très brave, très énergique, cet officier supérieur, bien que blessé au bras, reste néanmoins à la tête de ses hommes, et charge par trois fois l'ennemi, qu'il maintient à distance. Mis à l'ordre de l'armée, il est peu de temps après nommé officier de la Légion d'honneur.

Charles Théodore Millot

Né le 28/6/1829 à Montigny (Côte d'or), Millot est Saint Cyrien. Il a servi 9 ans en Algérie aux tirailleurs indigènes, puis en Cochinchine.

Chef de bataillon le 27/2/1869, il est nommé au 55e régiment de ligne avec lequel il fait la guerre de 1870. Il est blessé d'un coup de feu au bras gauche lors de la bataille de Rezonville le 16/8/1870 et est cité à l'ordre de l'armée pour s'être distingué lors des batailles de Forbach et de Gravelotte.

Echappé à la capitulation de metz grace à sa blessure, il fait une belle campagne de 1870/1871 dans les armées de la République à la tête d'une régiment (le 18e RI sur cette photo), puis d'une brigade.

Il finit sa carrière général de division, commandant le corps expéditionnaire du Tonkin en 1884.

Il est mort le 17/5/1889.

Photo Calmel (Pau)

 

Le colonel du 55e de ligne était occupé, de son côté, à reformer sa colonne sur la gauche de la route contre les maisons de Rézonville, la portion en retraite de son régiment, pour la reporter en avant, lorsque les clairons sonnent la charge sur toute la ligne. Le colonel Février, du 77e, en fait autant pour son régiment sur la droite de la route, face à Vionville. Un officier de chasseurs à pied portant les aiguillettes, Albert Bazaine, neveu du maréchal, s'adressant au colonel du 55e de ligne, lui crie :
« Colonel, vous n'entendez donc pas? On sonne la charge de tous les côtés.
- Eh! monsieur! laissez-moi à mon affaire; vous n'y comprenez rien.
- Je vous somme, au nom du maréchal Bazaine, de vous porter en avant.
- Tiens, dit le colonel, il est donc retrouvé. »
Et s'adressant au régiment : « Nous sommes des bons, le maréchal est retrouvé, nous allons rejoindre les camarades. »


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