Les journées de décembre 1851
Souvenirs du général de la Motte
Rouge Le 2 décembre, le Président prit hardiment sa résolution, fit un appel au peuple et à l’armée et fut chaleureusement entendu de celle-ci ; dès le matin les troupes furent consignées et les proclamations du Président immédiatement affichées dans les casernes, lues aux soldats, qui tous en général, témoignèrent de leur joie et se disposèrent à appuyer le Chef de l’Etat dans ses résolutions. J’avais l’honneur de commander à cette époque le 19e léger et je dois dire que jamais le régiment ne se rassembla avec autant de promptitude , lorsque je lui fis prendre les armes pour lui communiquer les ordres que je venais de recevoir. Il occupait la caserne de Reuilly, faubourg St Antoine. Aucun déploiement de force n’eut lieu ce jour là dans notre quartier, les officiers et la troupe restèrent consignés à la caserne. Le soir, à la nuit, de grandes patrouilles de 100 à 150 hommes commencèrent un mouvement de reconnaissance qui s’opéra dans toutes les parties du faubourg ; elles partaient d’heure en heure. Mais le
3 au matin, les choses changèrent ; à 7 heures je reçus
l’ordre du général Marulaz, commandant la brigade de Reuilly
(19e léger et 44e de ligne), d’envoyer le
2e bataillon à la prison Mazas, de faire escorter par le
3e, détaché à Vincennes, l’artillerie de la brigade jusqu’à la
caserne de Reuilly et, lorsque cette batterie serait arrivée, de me
diriger moi-même avec les 1er et 3e bataillons, sur
la place de la Bastille, qui m ‘était assignée comme emplacement en
cas de combat. Vers 8 heures, je quittai la caserne à la tête de mon
1er bataillon, tout le monde dans le rang, même les malades qui
avaient demandé à marcher, le petit état major et les musiciens armés de
fusils et formant compagnie. Le 3e bataillon se mit à ma
gauche, l’artillerie entre le 44e et ce bataillon. Je
m’engageai ainsi, précédé de la 1ere compagnie de voltigeurs (capitaine
Larrouy d’Orion), dans la grande rue du faubourg St Antoine. Mes hommes
marchèrent dans le silence le plus absolu et traversèrent dans le plus
grand ordre une foule immense d’ouvriers massés le long de trottoirs sur
plusieurs rangs de profondeur, observant la marche des troupes et jugeant
sans doute, d’après leur attitude, ce qu’ils pourraient tenter. Quelques
cris de « Vive la Constitution ! A bas les
Césars ! » proférés dans la foule, cessèrent promptement
lorsque ceux qui les hurlaient virent le parti que mes hommes d’avant
garde étaient disposés à leur faire. La nuit se passa pour nous d’une manière assez calme ; dans les autres quartiers de Paris, centre habituel de l’émeute, il n’en fut pas ainsi. Les barricades se formèrent et les sections armées de la démagogie s’apprêtèrent à combattre. Le 4
à 7 heures du matin, le régiment prenait de nouveau les armes et
recevait l’ordre, ainsi que le 44e, d’aller prendre position
sur la place de l’hôtel de ville ; mais arrivé sur le quai de
l’Avé-maria, un contre ordre prescrivit de le faire renter à la caserne.
Le séjour qu’il y fit ne fut pas long ; à 10 heures et demi environ
le colonel recevait de nouveau l’ordre de se porter en toute hâte à
l’hôtel de ville. L’insurrection s’était tout à fait démasquée dans les
quartiers St Martin et St Denis, les barricades s’y étaient élevées de
tous côtés et le moment d’agir avec décision était venu. Pendant la nuit on fit beaucoup de prisonniers, j’en vis passer une colonne sous mes yeux. Elle était composée d’hommes à figures sinistres telles qu’on en voit que dans les jours de troubles et de révolution. |
Le plan de Paris à cet
endroit en 1808
Les rues citées dans le texte figurent en bleu
La rue
Rambuteau, percée en 1838, est signalée en rouge.
Souvenirs du général Herbillon Le 1er décembre, la soirée du lundi à l’Elysée avait réuni beaucoup de monde ; on circulait comme de coutume dans les salons ; rien dans le maintient du Président et de son entourage ne pouvait laisser présumer que dans la nuit un coup d’état allait éclater, et cependant toutes les meures étaient prises pour agir vigoureusement. Tous les officiers généraux de l’armée de Paris, nous nous trouvions à la soirée présidentielle ; aucun de nous n’avait été prévenu de ce qui se complotait. Parfaitement tranquille et ne me doutant nullement des changements survenus pendant la nuit, je reçus le 2 à 6h30 du matin l’ordre de me rendre sur la Place de l’hôtel de ville à l’heure même ou je recevais la dépêche. Persuadé qu’il y avait erreur je ne me pressais pas quand mon aide de camp arriva m’annoncer le coup d’état. Je m’habillai un peu plus vite et je me rendis au point désigné où je trouvais le général de division Levasseur avec le 9é bataillon de chasseurs. Le 3é de ligne et le 6e léger arrivèrent presque en même temps que moi à 7h30. Les troupes de la brigade restèrent toute la journée massées sur la Place de l’Hôtel de Ville. Beaucoup de curieux circulaient dans les rues, lisaient les décrets, faisaient des commentaires, examinaient l’attitude des troupes, mais ne faisaient preuve, au moins ostensiblement, d’aucune manifestation hostile. Les heures se passèrent sans incident,, le soir les troupes rentrèrent paisiblement dans leurs quartiers, la nuit fut tranquille.
Le 3, les mêmes dispositions que la veille furent prises, mais dès le matin il fut facile de s’apercevoir que quelques mouvements s’effectuaient dans certains quartiers de Paris. Le nombre des curieux était plus considérable, quantité d’ouvriers se promenaient en désœuvrés, des gens à figure sinistre sortaient de tous les côtés. Cependant la journée ne fut pas troublée et ce n’est qu’à 5 heures du soir que des sergents de ville vinrent prévenir le général de division que des barricades s’élevaient dans les rues Rambuteau, Beaubourg, d’Aumaire, Saint Martin et les rues adjacentes. Le général de division me fit appeler et me donna l’ordre de prendre avec moi le 9e chasseurs à pied et un pièce de canon et d’aller enlever les barricades de la rue Rambuteau. Arrivé à la hauteur de la rue Beaubourg, je trouvai une barricade qu’une compagnie du 33e de ligne occupait sans cependant s’être hasardé à passer outre. Je franchis cette barricade avec une compagnie de chasseurs et au débouché de la rue Saint Martin, je trouvais affluence de gens en blouse qui nous reçurent aux cris de « Vive la République sociale et démocratique ! A bas le Tyran ! » Je les fis sommer par le commissaire de police de se retirer, ils répétèrent leurs cris. Je fis signe aux chasseurs d’approcher, mais sans que je ne leur eusse donné l’ordre, ils firent feu dans la rue saint Martin du coté des quais. Je relevai immédiatement leurs fusils avec mon épée, mais cette fusillade d’une seconde tua deux hommes et en blessa quelques autre. Au bruit des coups de feu, toute la foule se sauva et le terrain fut entièrement déblayé. Je retournai vers l’Hôtel de Ville ; en revenant, les chasseurs enlevèrent toutes les planches qui avaient servi à élever des barricades dans la rue Rambuteau, les mirent sur leurs épaules et, arrivés sur la Place, en allumèrent un grand feu. A peine étais-je revenu que de nouveau on avisa le général de division de l’établissement de nouvelles barricades. Il y envoya le colonel Chapuis du 3e de ligne avec un bataillon de son régiment. Cet officier supérieur remplit sa mission avec une grande intelligence, culbuta les défenseurs de la barricade, mais, comme il faisait nuit, il perdit quelques soldats qui furent tués. L’ordre fut ensuite donné aux troupes de rejoindre leurs quartiers respectifs.
La journée du 4 s’annonçait froide et pluvieuse, les troupes furent réunies sur les mêmes emplacements que la veille. Pendant la nuit, de nombreuses barricades avaient été faites et la quantité en augmentait à chaque instant. L’ordre émané du général en chef était de ne pas faire d’attaques partielle, on laissa donc les affiliés aux sociétés continuer leurs constructions. Quand on fut certain que toutes les barricades étaient dressées, on donna l’ordre de marcher sur les quartiers dont les gens du désordre s’étaient emparés. Le 1ere brigade que je commandais fut divisée en deux parties : la première, sous les ordres du général Levasseur, marcha droit sur les boulevards par la rue du temple ; le seconde prit avec moi la rue Rambuteau, puis la rue Saint Martin, pour rejoindre le général Levasseur sur les boulevards. Le général Marulaz se dirigea vers la rue saint Denis, le général Dulac vers la rue Montorgueil, le général carrelet avec la 1ere division suivit les boulevards et la Garde républicaine les quais. A 2h de l’après midi tous ces mouvements se firent simultanément, et les insurgés se trouvant cerné de tous cotés ne purent tenir. Le colonne que je commandais eut à parcourir les rues Rambuteau et Saint Martin et à agir sur les rues adjacentes. Six barricades furent enlevées. Celle de la rue Rambuteau qui fut attaquée par le canon soutint un instant l’attaque. J’eus 4 à 5 hommes blessés. Le tambour major du 3e de ligne fut tué dans la rue saint Martin. La barricade établie près de l’église Saint Nicolas et la rue Grenétat résista quelques minutes au tir du canon et fut enlevée par un compagnie de grenadiers du 3e de ligne. Trois gamins furent trouvés derrière la barricade et me furent amenés. Ne voulant pas les traiter comme s’ils étaient des hommes, je leur fit donner quelques tapes sur les fesses et les renvoyai chez eux. Dans les journées du 3 et 4 la brigade compta 5 tués et 35 blessés. Au moment ou je faisais attaquer la barricade de la rue Grenétat par le canon, on m’apporta un éclat d’obus qui provenait de la colonne du général Levasseur qui était entré dans la rue Saint Martin du côté des boulevards pendant que je me rendais moi même sur ces mêmes boulevards qui étaient le point de réunion convenu. Cet officier général, qui n’a jamais pu rester en place, et qui était contrarié de voir ses lieutenants en faire plus que lui, fit marcher contre la barricade des Arts et Métiers dont j’étais à peu de distances ; il en résultat quelques hommes tués et blessés. A 5 heures du soir tour était terminé ; des bataillons et escadrons campèrent sur les boulevards et aux points principaux. Soit que l’élan de la troupe et les dispositions prises eussent déconcerté les gens du désordre, il n’y eut en somme que peu de résistance et cette guerre des rues, si elle fut déplorable, ne fut pas très meurtrière.
Le lendemain vendredi 5, les colonnes parcoururent les diverses voies qui avaient été le théâtre de l’insurrection, des postes furent placés dans les maisons pour éviter de nouveaux rassemblements, les magasins s’ouvrirent, la circulation des voitures et des piétons reprit normalement et la capitale rentra dans l’ordre et la tranquillité. |